Mes lecteurs les plus assidus font la moue. Je ne les arrose plus d'articles à l'exotisme extrême, récits romanesques de visites et baroudages sur les terres d'Orient. Ben oui, mais depuis un an et demi que je me suis mis à mon compte, j'ai reculé l'échéance des prochaines vacances à une date indéterminée. Pourtant, c'est vrai que moi-même, je rêve de pouvoir repartir à l'aventure, à la découverte de nouvelles cultures, m'imprégner de nouvelles atmosphères et embrasser de nouveaux paysages. Mais voilà, je suis anxieux de nature, reste dans une période de démarrage d'activité, et à l'idée de passer une semaine sans vérifier mes mails professionnels ou ne sans pouvoir recevoir de fax, j'angoisse.
Toutefois, aujourd'hui, en faisant un peu de ménage sur mon disque dur, j'ai retrouvé le carnet de voyage que j'avais rédigé à l'occasion de mes toutes dernières vraies vacances. C'était en septembre 2004, au Hainan, il y a un peu plus de deux ans... Et autant vous dire que, même si deux ans sans vacances devient un peu tiré, j'ai retrouvé avec plaisir toutes ces notes concernant ce déplacement. A l'époque, je n'étais pas encore à mon compte, et travaillait en tant que directeur commercial et marketing d'une usine de cadres et de miroirs décoratifs, Bao Cheng Industries, à Suzhou.
Je vous livre ce carnet ci-après, que je souhaitais publier sur le site www.ailleursmagazine.com/chroniques.html, qui recense une quinzaine de chroniques que j'avais écris et mis en page la première année de mon expatriation. Et puis le temps à passé... Et nous voilà dèjà deux ans plus tard. Bonne lecture.
"J'ai embauché chez Bao Cheng Industries, à Suzhou, le cinq avril de cette année. Les chinois n'ont que trois semaines de congés payés officielles : l'une en janvier ou février, pour fêter le nouvel an lunaire, la seconde en mai, à l'occasion de la fête du travail, et la troisième en octobre, pour célébrer la révolution. Au-delà de ces trois semaines, bon nombre d'entreprises offrent aux employés une petite semaine de vacances, dans le cadre d'un voyage organisé auquel tous les salariés sont conviés gratuitement. Cette année, Bao Cheng nous invitait tous pour quatre jours au Hainan.
J'ai horreur du concept de voyage organisé et n'ai jamais souscris à aucun d'entre eux. Le fait de minuter des visites sans pouvoir partir à la découverte d'un pays ou d'une culture, de ne pas pouvoir se frotter à la population et aux problèmes que seul un voyageur solitaire rencontre avec une angoisse mêlée d'excitation, ne me correspond tout simplement pas. Quand je pars à l'aventure, je pars seul.
Mais là, je me suis incliné. Non seulement, c'est Bao Cheng qui régalait, et en plus, je ne faisais pas partie d'un voyage organisé pour occidentaux, mais pour chinois. J'ai d'ailleurs croisé bon nombre de locaux stupéfaits de voir un blanc faire partie de l'équipe de vacanciers ocre. Donc, je l'ai pris comme une expérience.
Les chinois ont surnommé le Hainan "le Hawaii chinois". Ile de rêve coincée entre le Vietnam et Macao, et baignant entre le Golfe du Tonkin et la mer de Chine, la province du Hainan se trouve à deux mille kilomètres de Suzhou.
1er Septembre.
L'après-midi chez Bao Cheng s'est faite dans l'attente du départ, et tout le monde travaillotait, tout en vérifiant que l'essentiel était là : lotion solaire, lunettes de soleil, et maillot de bain. Vers seize heures, c'est le pugilat. On éteint les ordinateurs, et on se rejoint au pied du bâtiment, où un bus nous attend, pour nous emmener à l'aéroport de Shanghai. C'est là que nous prendrons notre vol pour Haikou, capitale de la province du Hainan.
Le bus mettra presque trois heures pour rejoindre Pu Dong, l'aéroport de Shanghai. Le chauffeur voulait faire des économies, et a, par voie de conséquence, évité l'autoroute. Trois heures à souffrir des nids de poule et du mauvais état des routes, pour économiser quelques centaines de yuans, alors que Shanghai est à moins de cent kilomètres. Typique en Chine.
L'attente à l'aéroport a été un peu plus longue que prévue, car en Chine, il y a une chance sur deux de décoller en retard dès lors qu'il s'agit d'un vol intérieur. La compagnie nationale s'appelle CAAC, et les chinois anglicistes l'ont surnommé "China Airlines Always Canceled", soit "Lignes chinoises toujours annulées". Nous avons finalement décollé, et sommes arrivés deux heures et demie plus tard à Haikou, ce qui se traduit par "l'entrée de la mer".
Il est vingt trois heures, et nous sortons de l'aéroport. La température extérieure est plus élevée que dans le Jiangsu, la province où se trouve Suzhou, et, malgré la petite brise marine qui vient nous rafraîchir, nos vêtements nous collent immédiatement à la peau. L'humidité de l'air est telle que respirer devient un acte difficile. Nous rejoignons notre bus, et partons pour notre premier hôtel, en périphérie de la capitale provinciale. Moi et mon collègue Sun Ming Shan nous asseyons au premier rang du bus. Au-dessus du rétroviseur scintille un petit compteur digital affichant la température extérieure, et le degré d'humidité. Dehors, il fait 32°C, et nous atteignons 72% d'humidité dans l'air. Paradoxalement, l'air à Suzhou me parait plus difficilement respirable. Cela vient sans nul doute de l'industrialisation outrancière qui champignonne d'usines sur toute la côte Est du pays, et dont la région de Shanghai, le Jiangsu, et le Zhejiang, forment l'épicentre de ce tremblement économique. De fait, la pollution n'est pas la même que sur cette île paradisiaque. Et puis, il y a l'air marin.
Nous arrivons crevés, et apprécierons la quiétude d'un restaurant de fruits de mer, grande spécialité de l'île. La nourriture n'était pas particulièrement savoureuse, et pourtant, à six personnes, nous nous en sommes tirés pour sept cent yuans, ce qui est de l'escroquerie pure et simple. Mais que serait un touriste si il ne se faisait pas arnaquer ? La bière locale est au rendez-vous, légèrement moins âpre que la Qingdao nationale. Après ce repas sommaire, à l'abri sous les palmeraies, nous rentrons à l'hôtel, et nous en écrasons vers une heure du matin... Sachant que nous devons tous nous retrouver au restaurant de l'hôtel pour le petit déjeuner à sept heures.
2 septembre.
Je rejoins le reste de l'équipe au restaurant, toujours autant médusé par l'effroyable appétit des chinois. Les collègues repassent au buffet plusieurs fois pour garnir leurs assiettes de pléthores de raviolis et brioches cuits à la vapeur, de nouilles sautées, d'oeufs, et de fruits... Le tout arrosé de Tou Jiang, une boisson laiteuse, brûlante et sucrée, à base de soja. Quand, en chinois, je m'adresse à un des serveurs pour lui demander si il peut m'apporter une tasse de café, je vois bien, à la stupeur dubitative que sa moue arbore, qu'il n'a pas la moindre idée de l'endroit où il pourrait me dégotter ça. Je suis bon pour me contenter d'un oeuf dur.
A l'extérieur, la chaleur est bien plus forte que la veille au soir, mais l'air paraît moins lourd. Moi et Sun Ming Shan reprenons nos places à l'avant du bus, laissant le reste des commerciaux de Bao Cheng (commerciaux, donc indisciplinés par essence) prendre les sièges du fond où se plaisent à trôner les chahuteurs.
Dès lors que nous quittons l'hôtel, moi comme mes collègues sommes impressionnés par l'abondante luxuriance insulaire. Rien à voir avec le Jiangsu, où la soi-disant campagne n'est qu'une succession d'industries plus ou moins modernes, d'usines en construction, de lotissements à l'architecture futuriste, carton pâte, colorée et contestable. La campagne du Jiangsu symptomatise à merveille le miracle économique : nature laissée à l'abandon, polluée, et outrancièrement industrialisée. Les vastes espaces sauvages du Hainan s'étendent des deux côtés de la route qui les lassèrent. Tout n'est que flore prairie éclatante, moutonnante, touffue et exotique. Et pourtant y subsiste un sentiment de sérénité qui confine au bien-être. La campagne montagneuse, aux collines recouvertes de coton vert, avec les bois de cocotiers et les palmiers, ou flottent quelques rizières plates, c'est l'image que j'ai du Vietnam, qui n'est que de l'autre côté du Golfe du Tonkin. C'est magnifique, naturel, touffu, et pourtant, il y réside quelque chose de résolument dépouillé, de sobre. L'Asie n'est que paradoxe.
Les visites commencent. Nous arrivons à Boao Aquapolis, un parc à thèmes pour touristes. Le Hainan n'est que très peu industrialisé, et, du fait de son climat estival éternel, de ses plages de sable fin, de la pureté de la mer, et de la végétation, c'est l'endroit de villégiature par excellence. Y construire des parcs à thèmes va donc de soi. Nous ne resterons qu'assez peu de temps à Boao Aquapolis. C'est un premier contact avec la mer. Nous prenons un bateau à moteur, à bord duquel tout passager à obligation de porter un gilet de sauvetage, afin de rejoindre l'autre rive, banc de sable de l'autre côté duquel la Mer de Chine nous attend, nous réservant son plus beau soleil pour l'occasion. Je suis plutôt bon nageur, et porter cette bouée encombrante m'angoisse plus qu'autre chose, par peur de ne pouvoir me mouvoir librement. En Chine, la sécurité est parfois délirante, et nonsensique. Mais là, ce n'est pas le cas. L'apprentissage de la natation n'est qu'optionnel à l'école, et bien des établissements scolaires ne proposent même pas cette option. Par voie de conséquence, somme toute assez peu de chinois savent nager, et, de toute l'équipe de Bao Cheng, je trouve que même les meilleurs nageurs restent exceptionnellement patauds dans l'eau.
Nous profitons une petite demie heure du sac et du ressac, nous rechargeons à la fraîcheur des embruns, et repartons après avoir fais pataugé nos pieds dans l'eau salée avec excitation et bonheur. La chaleur est à son comble, et nous repartons à bord du même bateau. Sur le trajet du retour, il y a quantité d'immanquables magasins de souvenirs où nous nous faisons gentiment harceler pour acheter des chemises fleuries, des chapeaux de paille tressée, des bijoux plus ou moins factices, des coquillages ou des fruits aux formes et aux coloris étonnants, dont j'ignorais jusqu'à l'existence.
Nous reprenons le bus, continuant notre traversée des terres préservées du rouleau compresseur urbanisant de l'Humanité, et arrivons à Wanning, pour déjeuner. La traduction littérale de Wanning serait "dix mille sérénités". C'est une petite ville engoncée dans les terres. Le trafic y est moins étouffant qu'à Suzhou, où c'est la bousculade constante de tous types de véhicules, dans tous les sens. Toutefois, malgré la quantité bien moindre de véhicules, la circulation y paraît bien plus infernale. Moins d'infrastructures, des routes en piètre état, un goudron recouvert de terre roussie par la chaleur et le passage, des triporteurs de forme étonnantes en guise de taxi, des motos roulants en tous sens, et une connaissance des règles élémentaires de conduite à mourir de rire amusent et angoissent. La simplicité des locaux se voit au travers de leur accoutrement et des véhicules à l'archaïsme tiers-mondiste qui les transporte. Evidemment, nous venons d'une des villes les plus riches de Chine. A la sortie du restaurant, des porteuses de fruits au chapeau traditionnel et conique nous proposent d'acheter leur exotique victuaille. Les chinois ne résistent pas... Dès lors qu'il s'agit de nourriture, et quelques uns de mes collègues se précipitent pour sélectionner les fruits les plus attirants, et négocier les prix âprement.
Nous repartons, traversant une zone de montagnes courtes, recouvertes de végétation. L'image du Vietnam, mélangée à celle des montagnes luxuriante de l'archipel hongkongaise me vient à l'esprit. De ci delà, nous croisons quelques bâtiments désolés au sein de ce monde perdu. La nature a gardé le pouvoir.
En début d'après midi, nous arrivons dans un village de la minorité Li. Même si quatre vingt pour cent de la population est Han, la Chine comprend une trentaine d'ethnies différentes. Les Li ne sont plus très nombreux, et se préservent du temps et de l'influence continentale en continuant à vivre, bien à l'abri de l'Humanité, en parfaite autonomie, au sein de petits villages... Aménagés toutefois pour les touristes. De l'extérieur, la battisse qui garde l'entrée du village, avec ses parois en bois, et le forme particulière de son toit, rappellent le style thaïlandais. Nous rentrons. Sur un ton amusé, le guide nous signale que si des filles de la communauté Li nous proposent quelque chose, il vaut mieux refuser, car cela signifie qu'elles souhaitent se marier! Dès lors que nous avons passé l'enceinte, une dizaine de jeunes filles nous saute dessus, prenant chaque homme par le bras. L'une d'entre elles se précipite vers moi sans la moindre interrogation, mais a un pas de recul immédiat dès lors qu'elle réalise que je suis blanc. Tous les autres hommes montent l'escalier de bois du bâtiment, une jeune Li au bras.
Les hommes sont revêtus d'un simulacre de costume traditionnel se limitant à une veste et un calot de couleur vive. Ils s'assoient autour d'une table de banquet, hilares, avec une des jeunes créatures posée à leur côté, ou sur les genoux. Etonnement souriantes de la situation, les petites amies des collègues restent en retrait de cette jouissance masculine à se faire entraîner par une charmante créature, et prennent les photos. A table, Sun Ming Shan est en liesse, à côté de sa demoiselle. Un à un, les hommes doivent se lever, et s'incliner face à un autel, en joignant les mains. Puis, tout comme dans la tradition continentale, les deux "époux" se font face, pour, de la même façon, les mains à nouveau jointes, s'incliner face à l'un l'autre. Pour parachever le cérémonial, chaque convive se devra de chanter une chanson, avant de porter son épouse pour lui faire attraper un objet traditionnel accroché au plafond. Une femme, organisatrice, reste en retrait.
Et puis, nous, les célibataires, sommes sommés d'attendre à l'extérieur, pendant que les couples nouvellement formés se retrouvent à l'étage supérieur. Un peu plus tard, Sun Ming Shan me racontera que c'est en fait là, dans la quiétude solitaire des retrouvailles faussement conjugales, que ces demoiselles imposeront un pourboire de cent cinquante yuans pour les noces de pacotille. Les hommes en ressortiront toutefois hilares, reprenant bien difficilement leurs esprits.
La visite continue alors. Nous passons devant une dresseuse de serpent, rangeant immédiatement la bestiole à mon passage, me laissant qu'une brève seconde pour prendre un cliché du reptile. Sur le chemin, deux Li m'arrêtent, travestissant d'office le laowai de vêtements traditionnels, me prenant toutes deux par l'oreille... Pour me faire payer quinze yuans leur présence sur une photo ! C'est les vacances, elles sont jeunes et jolies, et je me laisse aller. La luxuriance du village est idyllique. C'est l'image même de la végétation d'une île désertée d'organisation humaine. Nous sommes entourés d'une haute et dense forêt de bambous, traversons la végétation, les maisons traditionnelles, bâties de végétation et de ressources locales, et visitons deux vieilles tisserandes Li. Les deux portent le tatouage traditionnel sur leur visage tanné par les ans. Etonnant à voir, cette marque tatouée en forme de toile, sur le menton, descendant dans le cou et jusque derrière les oreilles.
Nous finirons dans une salle de spectacle, entourée de boutiques, et où nous assisterons à un spectacle de danse traditionnelle. Et puis, semble-t-il danse locale aussi, on invite les convives que nous sommes à sauter, au rythme de musique locale, entre des mats de bambous tenus par les artistes agenouillés. Les enfants des collègues de l'équipe ne s'en lasseront pas. Alors que moi, si. Je me retrouve avec Sun Ming Shan, et nous dissertons sur la richesse de la pluralité ethnique en Chine, qui semble être un parfait exemple d'entente. Pour rappel, au-delà de toutes ces minorités, il y a en Chine une trentaine de provinces, des dizaines de dialectes différents dans chacune d'entre elles, et le pays fait dix huit fois la surface de la France. Les seuls problèmes rencontrés sont avec la minorité vivant dans le Xinjiang, à la frontière afghane, province musulmane, dont le langage s'écrit comme l'arabe, et où les locaux ressemblent à des magrébins à s'y méprendre. Nous reprenons la route en direction de Sanya, la deuxième grande ville du Hainan. C'est parait-il là que se trouvent les plus belles plages de Chine. En centre-ville, nous rejoignons le restaurant où nous irons dîner... Pour faire un crochet par la plage, histoire de tremper à nouveau les pieds dans l'eau avant de repasser à table.
Le repas s'avèrera délicieux, et le bonheur de se retrouver à dîner dans un restaurant à travers les vitres duquel on peut admirer la mer disparaissant à l'horizon d'un soleil couchant libère les inhibitions. Les bouteilles de bière commencent à défiler, et les têtes à tourner. A la mode chinoise, nous trinquons les uns avec les autres, vidant nos verres cul sec avec la vélocité de machines agricoles, et, en l'espace d'une demi-heure, les faces sont rougies par l'alcool, et nous nous retrouvons entre commerciaux, pris de vertiges hilarants. Tradition oblige, je passe à la table de Robert Lu, mon P.-D.G., pour trinquer avec lui. Il me demande alors si je me sens d'attaque pour boire cul sec un verre de bière avec chacune des personnes attablées.
Ils étaient sept.
En Chine, on ne refuse pas ce genre de challenge, lorsque c'est le patron qui le demande. En étant étranger, j'aurais été excusé, mais voilà, mon respect foncièrement borné de la hiérarchie dans une dictature communiste a eu le dessus... J'ai bu mes sept verres cul sec. Je suis retourné m'asseoir, ai regardé Sun Ming Shan avec ce qu'il me restait de raison vacillante après mes sept verres de bières, et lui ai dis que si il avait un truc sensé à me dire, c'était maintenant où jamais, car il ne me restait qu'entre trois et cinq minutes de sobriété pour toute la soirée. Il m'a regardé avec son petit sourire à la cool, et m'a répondu "non, c'est bon. Sois ivre.". Et puis, il a rajouté, en se servant un verre "t'inquiètes, de toutes façons, je te rejoins au plus vite", et, son verre à la main, il est parti trinquer avec le patron. Nous sommes arrivés au nouvel hôtel, et ça a été le passage obligé aux toilettes pour tout le monde ! Une bonne douche, dans nos chambres de grande classe... Et nous nous sommes tous rejoints à la piscine, pour une partie de basket entre collègues, qui a duré jusqu'à vingt et une heure. Les collègues remontent. J'espérais le Hainan comme étant la version asiatique d'Ibiza... Mais c'était sans compter sans le comportement résolument couche tôt des chinois. Etre en vacances, oui. Mais faire la fête, euh, pourquoi ? On a bien mangé, on s'est soule en une demie heure, et il est neuf heures du soir. C'est bon, on peut aller se coucher. Pour moi, c'est intolérable.
3 septembre.
Je me retrouve au restaurant de l'hôtel pour le petit déjeuner. Pas de café. Je me limite à nouveau à un oeuf dur. Nous avons repris notre bus, et sommes allés sur une autre île, qui est un parc pour touristes ayant envie de profiter du bonheur de la plage. Il pleuvait, mais la température nous a permis largement de profiter de nos maillots de bain. Au programme, nous avons commencé par de la plongée sous-marine. Moi, j'ai fais le fiérot, mais, euh, malgré l'excitation, quand je me suis retrouvé au bord du ponton, avec les bouteilles qui pèsent sacrément lourd, à devoir m?avaler le détendeur sans pouvoir respirer par le nez, j'ai légèrement angoissé. Et finalement, dès lors que je me suis retrouvé sous l'eau, ça a été le bonheur complet.
Après une demi-heure de face à face avec les calamars, à deviser les fonds, à se frayer un passage entre les rochers, nous sommes remontés à la surface tous ensemble, exaltés ! Après cela, nous sommes allés retirer nos combinaisons... Et sommes allés faire du scooter des mers. Ces engins sont de vraies petites bombes. Je ne sais pas à quelle vitesse ça va... Mais ça fonce. Et puis, dès lors qu'il y a une vague, on la grimpe en tremplin, restant un instant suspendu en l'air, avec l'impression de haut-le-coeur, et aussi la trouille de quitter le véhicule et de se retrouver à la flotte, pour se prendre un choc en s'écrasant sur l'eau un peu plus loin. Après un quart d?heure, un large sourire sur mon visage, j'ai accosté sur la plage... Avec les membres tremblotants (du fait de la vitesse, et des chocs constants, il faut s'accrocher à mort sur ces petits monstres, et tous les muscles restent constamment contractés), et des vertiges, mais hilare. Ce qui reste super, c'est qu'à la moitié du trajet, j'ai remarqué qu'on se prenait un peu plus d'embruns qu'à l'accoutumée. En fait, il y avait une pluie battante. Foncer à pleine vitesse, en mer, sous la pluie, sur une de ces machines infernales, fait ressentir une épanouissante impression de liberté.
Sous la pluie toujours, mais avec le bien-être au coeur, nous avons renfilé nos gilets de sauvetage, et sommes repartis pour l'île du Hainan. Je n'ai pas vraiment compris pourquoi, mais c'est un militaire qui pilotait le hors bord qui nous a amené et ramené. Il subsiste à ce sujet une impression bizarre au Hainan. Il y a cette atmosphère paradisiaque qui donne l'impression qu'on y trouvera des preuves archéologiques du péché originel, et qui assure que rien ne s'y déroule, et il y a pourtant très souvent des avions de chasse qui passent, des camions de l'armée sur les routes, et des militaires qui se baladent un peu partout. Au large, il n'est pas rare de voir un bateau de guerre.
Il faut dire que le Hainan est un emplacement stratégique. Venant d'Asie du Sud, c'est le dernier rempart avant d'accéder à la Chine continentale. Il y a quelques années, un avion espion américain avait violé l'espace aérien chinois. C'était entre le Hainan et le continent. L'aviation chinoise avait appréhendé l'appareil, et l'avait forcé à se poser au Hainan. Sans se soucier des menaces de l'Oncle Sam, les chinois avaient renvoyé les six membres d'équipage à Hamburgerland, en prenant le temps de démonter l'avion pièce par pièce pour bien l'étudier, le remballer en pièces détachées dans des caisses, le renvoyant en même temps qu'une facture à l'ambassade américaine à Pékin, incluant le coût de transport et de démontage de l'engin ! Les chinois sont patriotes, avec un sans-gêne et une répartie parfois sans nulle autre pareille. Nous avons fais une pause en ressortant. Il y avait un petit marché aux fruits à la sortie, et nous avons attendu là, sous la pluie.
Après cela, toujours sous la pluie nous avons fais une excursion à Nan Shan, ou "montagne du sud". Il s'agit d'un temple bouddhiste. Sun Ming Shan m'explique que nous déjeunerons à la cafétéria du temple. Les bouddhistes sont végétariens, et ont une longévité bien supérieure, du fait en partie de cette alimentation. Malgré le fait qu'après une matinée prolongée aussi sportive, nous étions tenté par un bon morceau de viande, nous n'avons pas été déçu, et le repas était un régal.
Au temple, tout le monde y est allé de sa petite prière devant les divinités du panthéon bouddhiste, en brûlant de l'encens. Moi, j'ai profité des lieux, merveilleux, et se jetant dans la mer. Au coeur de la baie de Nan Shan, une gigantesque statue de Bouddha est en construction. Sun Ming Shan me disait que la statue avait coûté huit millions de yuans, et qu'elle était entièrement faite d'acier. Et puis, il y a cette succession de temples, bordés de montagnes moutonnantes, dont les sommets sont gommés par la brume. Nous sommes restés un bout de temps à Nan Shan, tant c'est grand.
Nous avons repris notre bus, et avons rejoins la pointe sud du Hainan. C'est une plage qu'on appelle Hai Tian Ya, ce qui veut dire "la fin du ciel et de la Terre". Pendant des siècles, les chinois croyaient que c'était là que le monde prenait fin. Encore actuellement, un dessin de l'endroit est repris sur les billets de deux yuans. Avant de reprendre le bus, un peu fourbu de la journée, mais l'esprit toujours autant en fête, nous sommes allés boire un thé glacé. Dans la buvette de la plage, les filles ne me paraissaient pas être des Hans, et elles portaient un voile sur la tête. J'ai demandé à Sun Ming Shan, qui était à mes côtés, et il leur a demandé de quelle nationalité elles étaient. Ce sont des filles issues de la minorité Hue, une des seules nationalités musulmanes en Chine.
Nous retournerons au même restaurant que la veille, mais sans bière cette fois. Nous rentrerons à hôtel, et malgré la densité et l'intensité des dépenses physiques de la journée, nous nous rejoindrons dans la piscine pour une nouvelle partie de basket aquatique. Nous rentrerons vers minuit, fourbus... Et nous endormirons très rapidement.
4 septembre.
Je ferme mon sac, car nous dormirons dans un autre hôtel ce soir. Sun Ming Shan file au restaurant pour le petit déjeuner. Je lui dis de m'excuser auprès des autres, mais moi, je vais aller au bar de hôtel, et me taper un petit café... Car je n'en peux plus, je suis en manque. Au bar de hôtel, ils ont une vraie machine à expresso... Et ce matin, j'ai bu l'un des meilleurs cafés depuis mon arrivée en Chine. Nous montons dans le bus. Je me sens crevé, mais les vacances se déroulent de façon exceptionnelle. Je suis bien. Nous partons pour une autre montagne. La pluie est battante sur la campagne du Hainan. En arrivant au pied de la montagne, le guide nous propose d'attendre au bar que le déluge se calme. Moi, je demanderais à Sun Ming Shan où nous sommes, car le programme du séjour a été passé en mandarin, et je ne fais que suivre avec feignantise. Sun Ming Shan me racontera alors que nous sommes sur le site, en bord de mer, où s'est déroulé une magnifique légende chinoise... Qu'il ne manquera pas de me raconter.
Dans les temps révolus de la Chine antique et légendaire, un homme de la minorité Li était adulé par tous. Il avait les caractéristiques physiques de l'athlète et du bellâtre. Il était le meilleur chasseur, et les filles étaient folles de lui... Mais lui ne réussissait pas à tomber amoureux de l'une d'entre elles. Un jour qu'il chassait, il tomba sur une biche magnifique, et alors qu'il s'apprêtait à décocher une flèche sur sa proie, croisant le regard de l'animal somptueux de grâce, il ne pût tirer. Intrigué, tant par l'impression que la biche avait provoqué en lui, et aussi avec une volonté vengeresse d'en faire sa proie ultime, il chassa l'animal sur tout le territoire du Hainan, pendant des mois et des mois. A chaque fois qu'il retrouvait la biche, il n'arrivait pas à se résoudre à la tuer. Et puis, finalement, après l'éreintante traque, il accula la biche sur la plage. Un vent magique venu de l'Empire Céleste entoura alors l'animal. Le chasseur ne comprit pas, pensant que c'était une protection empêchant toute flèche tirée d'atteindre la biche. Et puis, le vent se tortilla autour de l'animal pour la transformer... En la plus magnifique jeune fille Li qu'il ait vu. Ils tombèrent bien évidemment follement amoureux de l'un l'autre.
Nous avons alors gravi la montagne, et, au sommet, se jetant dans la mer, nous attendait une statue de l'archer, de la jeune fille, et de la biche. Même sur les rampes, des coeurs étaient taillés dans la pierre. En redescendant les marches, je lis, gravé à la peinture rouge dans le rock, un mot chinois que je ne sais pas lire. Sun Ming Shan me traduit. Ca veut dire Amour.
Nous rejoindrons finalement le dernier hôtel du séjour, car au solde de deux dernières visites le lendemain, nous repartirons pour Shanghai, puis Suzhou.
La dernière soirée au Hainan a été la plus fabuleuse. Nous jouissions de la piscine. J'ai passé la soirée avec Sun Ming Shan. Avec lui, dès le début, on a senti une complicité implicite et immédiate. Du fait du boulot, nous nous sommes éloignés, sommes allés au clash, et ce n'est pas fini. Mais au niveau privé, c'est l'accord total, et la compréhension mutuelle constante, avec une intimité forte en amitié. Je ne le connais que depuis cinq mois, et j'ai l'impression que cela fait bien plus longtemps.
Je suis passé dans ma chambre pour me reposer, et Sun Ming Shan m’envoie un SMS. Il me dit qu'en sortant de ma chambre pour le rejoindre à la piscine, il fallait que je fasse très attention, car pléthore de filles me cherchent ! Ah bon. Ca n'a pas loupé. Deux minutes plus tard, on frappe à la porte de ma chambre. Une fille belle comme un poster central de magazine de charme est là, et me propose des massages pour cinquante yuans. Je la remercie, et referme la porte. J'ai glissé le panneau "ne pas déranger" à la poignée. Dix minutes plus tard, je sors de la chambre, et il y avait cinq minettes qui m'attendaient dans le couloir, comme on attend sa proie. Je n'ai même pas répondu à leur speech, et ai filé à la piscine. Le directeur général de Bao Cheng m’apprendra plus tard qu'il a du intervenir auprès d'un de nos collègues, car il a invité une de ces filles à rentrer. Après le massage à cinquante yuans, elle lui a fais payer deux cent yuans pour la passe, et lui a finalement dis, au solde de leurs ébats, que le pourboire était de mille huit cent yuans. Quatre mecs attendaient à la porte pour s'assurer que le client escroqué payerait. Il est intervenu, a négocié... Et ça n'a finalement coûté que mille yuans ! Le plus étonnant, c'est que ces filles portaient des uniformes, et comme elles circulaient librement dans hôtel, tout le monde a cru qu'elles faisaient partie du personnel.
Nous sommes restés plusieurs heures, au bord de la piscine, à disserter de la vie, de l'amour, et du travail. Et puis, Sun Ming Shan m'a raconté son enfance. Il est issu de Yangzhou, un bled du Jiangsu... En pleine campagne. La Chine dans laquelle il a vécu enfant est sans comparaison avec celle dans laquelle nous évoluons. Et, tout a fait librement, il m'a raconté qu'il avait appris à nager à la rivière, dans son bled. Ses parents n'avaient pas de moyens, vivaient humblement, et, l'été, l'un des grands plaisirs familial, le soir, était, si les enfants avaient bien aidé pendant la journée à la maison, de les emmener à la rivière pour qu'ils puissent aller nager tous ensemble. Sun Ming Shan me racontera ces moments simples, dénués d'impératifs matériels, emplis de simplicité, car il était dans un endroit fabuleux, à partager des instants chauds et uniques avec sa famille. Tout ceci a bien changé, et j'ai senti une pointe de nostalgie. Il me racontait en souriant que, la première fois qu'il était allé à la piscine, il avait trouvé l'eau très froide par rapport à la rivière, et avec un mauvais goût. Mais voilà, en rigolant de ma bêtise à lui faire la remarque, il rajoutera que maintenant, il ne pouvait plus se baigner dans la rivière, près de chez ses parents, car du fait de l'industrialisation, la pollution du cours d'eau est totale.
Sun Ming Shan m'a ensuite posé pléthore de questions sur la France, et c'est dans ces moments-là, à la dubitativité des individus auxquels, malgré leur intelligence, il faut expliquer le fonctionnement des choses en profondeur pour qu'ils les comprennent, que l'on se rend un peu plus compte de la différence culturelle. Soirée unique de partage dans tous les cas. Nous avons fini par aller siroter une bière au bar de hôtel, et sommes rentrés nous coucher une heure plus tard.
Cinq minutes après m'être couché, le téléphone sonne. Par habitude, je savais ce que c'était. J'ai envoyé bouler la fille en question, en lui disant que ce n'était pas la peine, et que je souhaitais qu'on me laisse dormir.
5 septembre.
Je voulais me réveiller un peu plus tôt pour aller piquer une tête avant de partir. Peine perdue. J'ai à peine entendu le réveil. Je me suis préparé, et même schéma que la veille, je suis allé prendre un café au bar... Mais celui-ci était imbuvable.
Aujourd'hui, il y aura deux visites, et ensuite, nous repartons pour Haikou, où notre vol décolle vers dix sept heures. Nous devrions arriver à Suzhou vers onze heures ou minuit. La première visite était un parc de plantes exotiques. Là aussi, on se serait cru dans le jardin d’Eden. Le fruit national au Hainan s'appelle, en mandarin, le Bolomi. J'ai vu à quoi ça ressemblait, en ai goûté pléthore de fois... Mais n'ai aucune idée de ce que c'est en français ! Et là encore, tout le monde s'est extasié devant les arbres à Bolomi. A la sortie de ce parc, il y avait une sorte de salon de dégustation, où nous avons pu déguster différents thés fabriqués localement, ainsi que le café du Hainan... Qui est délicieux.
Le dernière visite, c'est un autre parc à thèmes, sur les différentes cultures asiatiques : la Thaïlande, le Vietnam, la Malaisie, etc... Très sincèrement, intérêt purement touristique, et aucunement culturel. Mes collègues ont passé le temps de la visite... A acheter des fruits ! Sun Ming Shan m'a invité à boire un coup, à savoir du lait de noix de coco, directement dans la noix juste ouverte à la machette, avec une paille de glissée.
Et puis, après être repassé à Wanning pour déjeuner, nous avons replié nos bagages vers l'aéroport de Haikou. Une de mes collègues viendra me voir, la bouche en coeur, me demandant si je peux l'aider à porter ses bagages à l'aéroport... Et me refilera un carton de dix huit kilos, rempli uniquement de fruits exotiques. Il était très amusant de voir les chinois clore leurs bagages et cartons à la sortie du bus. Tous avaient une quantité pléthorique de cartons et de sacs, et, le plus amusant, c'est que la quasi-totalité d'entre eux n'avait ramené que des fruits ! La culture de la nourriture en Chine reste impressionnante. En Chine, on ne mange pas en gourmet, on mange en gourmand. Rien d'étonnant à ce qu'il y ait toujours une grande quantité de plats dès lors que l'on va au restaurant, et que l'on pique à satiété dans chacun d'entre eux. Rien d'étonnant non plus à ce que, même lorsque l'on est débordé de travail, le moment inhérent au déjeuner ou au dîner n'est jamais ni sauté, ni repoussé. Les chinois mangent tout simplement tout le temps. Chez Bao Cheng, au-delà du fait que le repas du midi offert par la société est une calamité, il y a un petit garde-manger où on stocke les pots de nouilles instantanées et les gâteaux. Et toute la journée, c'est le défilé.
Nous sommes montés dans l'avion, en retard, comme à l'aller, en ayant nécessité de changer de porte d'embarquement, et nous envolerons en direction de Shanghai. Du ciel, le Hainan nous réservera quelques derniers instants magnifiques... Et nous arriverons deux heures et demie plus tard, fourbus par l'intensité des vacances... Mais qui se sont avérées exotiques au-delà de nos espérances.