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Si vous venez pour la première fois sur le blog, je vous invite tout d'abord à faire connaissance ci-dessous...
J'ai eu le coup de foudre pour la Chine comme on a le coup de foudre pour une fille.

C’était en 1998, à la descente de l’avion, à l’occasion d’un premier voyage. A la seconde où mes pieds ont touché le tarmac, toutes mes interrogations liées au bonheur ont trouvé une réponse spontanée : le bonheur, c’est d‘être ici. A cet instant précis, j’ai su qu’un jour, je viendrais y vivre.

En 2003, après une période de maturation nécessaire, le rêve de l’expatriation est devenu une réalité. Vous raconter qui j’étais avant, et ce que je faisais en France, en dehors de l’attente du départ pendant toutes ces années, est sans intérêt. Mon quotidien en Chine, je le rêvais, tout le temps.

Ce qu’il faut que vous sachiez sur moi, c’est que j’étais venu pour ça : je suis venu pour cette atmosphère dans les rues. Je suis venu pour ces couleurs. Je suis venu pour le sourire des humbles. Je suis venu pour les lumières de la nuit. Je suis venu pour l’assourdissant trafic constant. Je suis venu pour cette population de fourmilière, partout, tout le temps. Je suis venu pour ce pays débordant de vie. Je suis venu pour ce pays qui ne s’arrête jamais.

Et après quelques années passées en Chine, comme dans n’importe quelle histoire d’amour, la passion a fait place à l’habitude.
Je suis parti à la recherche de la différence, et je suis resté pour aboutir la compréhension de moi-même, pointé du doigt que je suis par les locaux, avec ma couleur de peau différente ; la couleur de mes yeux, différente ; ma texture de cheveux, différente ; l’expression de mon visage, différente. Je suis resté pour cette culture plurimillénaire, qui perdure. Je suis resté pour cette indigence, tellement présente qu’elle en devient transparente. Je suis resté pour cette richesse due à une explosion économique exponentielle. Je suis resté pour cette cohabitation constante entre une pauvreté quart-mondiste et une modernité high-tech. Je suis resté pour cette ambiance, où la frénésie à faire des gains financiers pharaoniques côtoie des outils ancestraux.

Je vis à Suzhou, dans la province du Jiangsu, à 90 kilomètres de Shanghai, et à 1500 bornes de Pékin. Mon nom chinois, c'est Ke Lin. Depuis l'été 2005, je vis avec Cai Li, que j’ai épousé en septembre 2009. Depuis le printemps 2005, j'ai monté ma société de représentation, Onesource Agency.

- Exotisme au quotidien : relate toutes les anecdotes surprenantes et amusantes liées à la différence culturelle. Rien dans les guides touristiques ne prépare à ces situations quotidiennes étonnantes, à des encablures de ce que l'on peut vivre en Occident.

- Société contemporaine :
 la Chine est en pleine mutation, s'ouvrant sur le monde, jouissant d'une explosion économique unique. Cette rubrique est le témoin de cette évolution vers la modernité, sur un mode explicatif, analytique, mais aussi sympathique... Et souvent exotique.

- Traditions millénaires :
 comment les traditions ont-elles perdurées ? De quelle façon évoluent-elles dans un contexte de modernisation ? Accessible depuis peu, la Chine reste très mystérieuse, et cette rubrique propose d'en explorer les coutumes, recensant par ailleurs quelques carnets de voyages.

- Vidéo :
passionné de cinéma depuis l'enfance, je vous propose quelques courts-métrages, montés en vidéo numérique, dont notamment la série de reportages « en Chine avec l’expat ».

14 août 2007 2 14 /08 /août /2007 12:07

(./..)

 

Depuis deux ans que je connais Cai Li, elle évoque souvent un séjour qu'elle a effectué à Hongcun, un petit village traditionnel à proximité de Huangshan, alors qu'elle étudiait l'art. Sa classe y était parti quelques semaines pour y reproduire, au pinceau et à l'encre, les bâtisses splendides et traditionnelles construites il y a huit siècles, et inscrites au patrimoine de l'humanité de l'UNESCO.

 

Je n'avais personnellement jamais entendu parler de Hongcun avant de la connaître, mais reste éternellement avide de découvertes. Cai Li connaît par ailleurs mon amour, depuis l'enfance, pour le septième art, et pour me décider définitivement (comme si c'était nécessaire), elle lâchera dans la conversation qu'une séquence de "Tigre et Dragon" y a été tournée. Fatalement, c'était un passage obligé de ces trois jours.

 

 

4°/ Jeudi 19 juillet : Tradition et nature en aval de Huangshan.

 

Alors que nous petit déjeunions dans le restaurant de l'hôtel, la soeur du patron, qui sera notre chauffeur pour la journée, vint faire notre connaissance. Aimable et sereine, elle apprendra par Cai Li ma cinéphilie chronique, et répondra immédiatement qu'il y a un autre site, tout près, où d'autres scènes de la toile précitée ont été réalisées. Devisant nos horaires de train, elle opinera quand nous lui demanderons si nous avons le temps de faire la visite en sus de Hongcun.

 

 

Comme partout en Chine, la circulation sur les routes qui serpentent à flanc de montagne est une insulte au code de la route. A chaque virage, toujours pris un peu trop vite, on se molécularise à la portière. A chaque dépassement sans visibilité sur une voie qui zigzague, on prie en espérant ne pas embrasser violemment un bus arrivant en sens inverse. J'évaderais mes craintes en reluquant les paysages, serrant les dents à chaque approche un peu trop serrée de la rambarde de sécurité. Au volant, notre chauffeur reste aussi zen qu'un moine shaolin sous morphine.

 

 

Nous arrivons à Feicuigu, le site de tournage si chaudement recommandé. La ballade est censée durer trois quarts d'heure, mais l'enchantement nous y guidera pendant deux heures. Nous remontons un cours d'eau parsemé de cascades fraîches. Le fond est peu profond, et les hectolitres qui s'y déversent varient du vert au turquoise, dans une pureté rare. Nous croisons quelques touristes épars, sans faire face à l'intolérable cohue de Huangshan.

 

 

L'objectif à atteindre, c'est le mot "amour", gravé dans le roc en amont. Nous pérégrinons à travers des paysages exotiques et calmes. Les montagnes nous entourent. Le gloussement silencieux de l'eau glissant sur la roche lissée nous détend. Nous oublions les souffrances de la veille. Le site est là aussi splendide, et sa propreté irréprochable. Ca et là, tranquillement, nous stoppons pour ôter nos chaussures et tremper nos pieds dans la rivière.

 

 

A mi-trajet de l'inscription "amour", un bloc de pierre recense, comme un cahier d'écolier, une page d'écriture de ce mot dans différentes typographies, reproduisant les styles de personnalités chinoises, dont Mao Zedong. Cai Li l'étudiera avec intérêt, avant que nous ne reprenions notre chemin.

 

 

En avançant, je reconnaîtrais les images de "Tigre et Dragon" : une cascade somptueuse, et sur l'autre rive, une forêt de bambous où les acteurs virevoltaient dans un ballet de kung fu d'audace et de grâce. Une signalisation présentant quelques photos de tournage confirme ma découverte. J'en ferais part à Cai Li dans une excitation enfantine. Elle répondra à cette puérilité par un soupire. Comme tous les chinois, elle n'a pas aimé le film : c'est bon pour les touristes tant c'est hollywoodien, et Jacky Chan est bien plus fort.

 

 

Nous sommes restés là, à nous ressourcer en écoutant la cascade s'abattre avec force. Cai Li m'arrachera le caméscope des mains, me sommant de profiter de l'endroit à l'instant précis, plutôt que de vivre mes vacances à la télé quand nous rentrerons. Je ferais la moue, mais force est de reconnaître qu'elle avait raison : les sonorités naturelles étaient symphoniques.

 

 

Sur un rocher plat au large diamètre, nous découvrirons finalement l'inscription "amour", gravée de rouge. Profitant de la présence de quidams, nous nous ferons prendre en photo allongés près du sinogramme. De manière systématique, tous les autres touristes de passage auront la même démarche.

 

 

Pour redescendre, nous traverserons une forêt de bambous. Les rayons du soleil qui passent à travers les frondaisons y jette une ombre verte. Malgré l'exotisme de la flore, ce qui reste définitivement le plus surprenant, ce sont les sons. Oiseaux ? Insectes ? A entendre les bruits de cet environnement naturel, il est impossible d'identifier les animaux qui le peuplent.

 

 

Quelques dizaines de minutes plus tard, sur le parking où nous l'avions laissé, nous retrouvons notre chauffeur. Elle nous attendait bien patiemment, et nous demandera tout de go si nous avons apprécié l'endroit. Il est clair qu'elle connaissait déjà la réponse. Toute autre considération concernant Feicuigu aurait été un mensonge.

 

 

Le souffle rafraîchissant de l'air conditionné, depuis la banquette arrière du taxi, a fait un bien fou. Toujours souriante au volant, notre conductrice entame la conversation avec Cai Li, lui proposant de nous emmener, avant d'aller à Hongcun, faire un tour en raft. Ma fiancée trépigne : elle sait à peine nager, mais la perspective de pagayer l'amuse au plus haut point. Après tout, nous avons le temps. La décision est prise immédiatement.

 

 

A l'arrivée, nous devrons enlever nos chaussures, enfiler des gilets de sauvetage aux chromies DDE, et laisser dans la voiture tout ce qui craint l'eau : caméscope, portefeuille et passeport. Notre chauffeur nous prévient qu'elle nous rejoindra en aval, au terminus des rafts. Nous attendons notre tour pour monter dans un des canots pneumatiques, et commençons à pagayer mollement. Cai Li a dissimulé son appareil photo, souhaitant garder un souvenir de son expérience en bateau.

 

 

Il y a deux choses qui m'ont particulièrement amusé. La première, c'est le discutable port du gilet de sauvetage, car où que nous passions, l'eau nous arrivait à mi-mollets. La deuxième, c'est la capacité des chinois à jouer facilement. Tous, Cai Li y compris, étaient survoltés de cris et de rires sincères à passer au travers de piètres rapides, excités à renverser les passagers de leur canot, ou d'arroser les bateaux adjacents à grandes rafales de pagaies. L'atmosphère bon enfant m'a conquis, autant que l'environnement naturel. Et j'ai fini, pathétique et hilare, par m'affaler dans l'eau en tentant de ramener le bateau à quai... A la grande joie des chinois à voir que les étrangers n'hésitent pas à se mouiller.

 

 

C'est trempé que je remonterais à l'arrière de notre taxi, notre chauffeur ayant pris soin de glisser une bâche plastique sur la banquette au préalable. Nous mettrons une bonne demi-heure avant d'atteindre le village traditionnel de Hongcun, qui devait être l'étape culminante de la journée. C'est à travers les vitres de la voiture que le soleil séchera partiellement mes vêtements. Cai Li s'endormira sur le trajet, fourbue de ses émotions navales.

 

 

A l'entrée de Hongcun se trouve un grand parking. Immédiatement, Cai Li s'ébahira du paysage modifié. Il y a quelques années, quand elle était venue, il n'y avait pas toutes ces infrastructures pour accueillir les touristes. Nous achetons les tickets pour rentrer, qui comprennent l'accompagnement d'une guide chinoise.

 

 

Hongcun est un petit village magnifique, qui est connu en Chine pour avoir la forme d'un boeuf. La colline de Leigang, à l'ouest, ainsi que deux arbres qui y sont plantés, représentent la tête et les cornes. Au-dessus d'un étang plat, quatre ponts permettent d'accéder à l'intérieur du village, et font office de pattes. Enfin, le dédale de ruelles et les bâtisses symbolisent le corps de l'animal.

 

 

La spécificité de Hongcun, c'est qu'il s'agit d'un village clanique, ou une famille dominante en a fait son univers à sa construction, il y a huit siècles. L'endroit étant reculé, et entouré de montagnes en remparts au reste du monde, l'existence s'y déroulait dans une certaine autarcie.

 

 

La vue depuis l'extérieur est somptueuse en soi. Le lac reflète le village en miroir dans une quiétude totale. Autour des ponts poussent des lotus étincelants de vert. Sur cette rive extérieure s'alignent des artistes venus avec leur matériel pour reproduire le site sur vélin.

 

 

Notre guide nous rejoint. C'est une jeunette étudiant l'Histoire, qui s'abrite du soleil sous une ombrelle traditionnelle. Nous traverserons en sa compagnie l'un des ponts en dos d'âne entouré de lotus, pour rejoindre l'intérieur du village. Les bâtisses ne font guère plus de deux étages, mais l'enchevêtrement des ruelles étroites donne le sentiment d'évoluer dans un labyrinthe.

 

 

La concentration de peintres est tout aussi dense dans le village. Les maisons de blanc délavé, avec leurs toits de tuiles anthracite, offrent un modèle de choix. Et à eux seuls, les chambranles au-dessus des portes, ouvragés de dentelle en pierre, sont des oeuvres d'art.

 

 

Les échoppes touristiques sont éparses, et permettent à l'endroit de conserver son charme authentique. On trouve malgré tout de quoi se restaurer, et des sodas frais. La gravure sur bois est une tradition à Hongcun : pas une ruelle sans un artisan proposant ce type de souvenirs. Pour moins de deux euros, Cai Li achètera un pot à crayon, où aura été magnifiquement reproduit à la main un paysage du grand réservoir du village.

 

 

Le réservoir de Hongcun, sur la grande esplanade, c'est l'estomac du boeuf. Mais c'est aussi un autre lieu de tournage de "Tigre et Dragon". C'est "l'étang de la lune", du fait de sa forme en croissant. Les artistes y sont plus nombreux, souhaitant immortaliser le reflet des bâtiments à la surface plane de l'eau.

 

 

Pour rester dans la métaphore digestive et animalière, nous passerons de l'estomac aux intestins du boeuf, en suivant les rigoles longeant les ruelles. Ces rigoles permettaient à chaque habitation de disposer d'eau courante, mais aussi de prévenir les risques d'incendie. Leur intégration dans le décor est harmonieusement agencé, et moderne pour l'époque.

 

 

Nous sortons du village. La ville actuelle est séparée des bâtisses traditionnelles par un pont. La journée conclue les vacances, et le soleil commence sa descente, rosant l'horizon. Nous avons bien marché, et jouissons d'un Coca sous un arbre avant de rejoindre le parking.

 

 

Après la visite et une petite heure de route, notre chauffeur nous abandonne à Laojie, une rue réputée pour ses bâtiments traditionnels, dans la ville de Huangshan. C'est un retour en douceur à la vie de la cité. Mais Laojie est très largement surestimée, avec son traditionalisme bien palot comparativement à toutes les merveilles que nous avons devisé depuis deux jours.

 

Nous faisons une pause dans un restaurant. A peine avons-nous commandé le dîner que Cai Li reçoit un appel de notre chauffeur, l'informant que nous avons oublié les photos de notre périple en canot pneumatique à l'arrière de sa voiture. Très gentiment, elle nous proposera de nous les rapporter, où que nous soyons en ville. Elle nous retrouvera un quart d'heure plus tard, brandissant les clichés. Nous l'inviterons à notre table, pour qu'elle profite du bien bon repas.

 

 

L'heure commence à tourner, et il ne nous reste moins d'une heure pour rejoindre la gare et prendre le train qui nous ramènera à Suzhou. A la sortie du restaurant, nous attraperons un taxi qui nous y déposera en moins d'un quart d'heure. Cai Li et moi-même nous sentons fourbus par ces trois jours, mais heureux.

 

A l'entrée de la gare, Cai Li me dit qu'elle se sent sale, et qu'elle souhaite prendre une douche. Il nous reste à peine une demi-heure avant de monter dans notre wagon, et étant anxieux de nature, c'est tout nerveux que je l'accompagnerais dans un hôtel contigu où, en dix minutes seulement, elle aura réglé le problème... Alors que nous aurons payé la chambre pour trois heures. Par peur de ne pas me doucher assez vite, je l'attendrais sagement et salement à la réception, me rongeant les sangs à chaque coup d'oeil jeté sur la montre.

 

Dans la salle d'attente de la gare, c'est l'affluence d'un jour de départ en vacances. Pourtant, les congés en Chine sont en janvier, mai, et octobre. La taille de la gare ne doit plus être suffisant pour contenir l'effervescence des voyageurs venant visiter Huangshan. Il n'y a pas de panneau lumineux pour indiquer les départs et les quais. Quand Cai Li demandera à un planton où trouver l'information, elle s'entendra répondre qu'il suffit d'attendre que la préposée crache dans le haut-parleur l'arrivée du train. Deux minutes plus tard, c'est le cas, et comme à l'aller, nous courrons jusqu'à notre wagon.

 

 

Le retour a été bien plus pénible que l'aller. Nous partagions notre compartiment avec trois chinois bruyants, excités comme des gosses à l'idée de prendre le train. Ils fumaient sans gêne dans le couloir, à grands renforts de déclamations hilares, malgré l'interdiction de crapoter ailleurs qu'à la jonction entre les wagons.

 

Je m'efforcerais de m'enfermer dans ma bulle à la relecture des "Trois mousquetaires", quand l'un d'entre eux me lancera une cigarette à la figure. En Chine, offrir une cigarette à quelqu'un est, plus qu'une marque de politesse, un message de paix. Sur le principe, l'idée me plaît énormément : de parfaits inconnus partagent une promiscuité pas forcément agréable, et s'échanger des clopes, c'est montrer son envie de lisser sa condition.

 

Mais au-delà de l'idée, nos trois co-voituriers étaient aussi discrets que des bidasses ivres en virée, à un moment où Cai Li et moi aurions bien profité d'un peu de calme. Dans ma logique occidentale subversive, le respect des autres est plutôt là. Ils feront plusieurs tentatives, et après une heure, je remarquerais un sol jonché de cigarettes au pied de ma couchette.

 

Alors que j'étais enfoncé dans mon roman, me demandant si d'Artagnan allait réussir à atteindre Londres pour y récupérer les ferrets qu'Anne d'Autriche avait offert à Buckingham, le contrôleur passe à hauteur de ma couchette. Il m'ordonnera d'un regard discipliné de ramasser les cigarettes jonchant le sol du compartiment. Je lui répondrais en mandarin que ces cigarettes ne sont pas les miennes, mais celles des trois zigotos gloussants. Estomaqué par ma capacité à communiquer, il métamorphosera sur l'instant sa moue militaire en un sourire d'animateur de kermesse. Mais plutôt que d'intimer aux trois chinois de faire le ménage, il trouvera plus rigolo de disserter sur ma présence en Chine. Les cigarettes resteront là jusqu'au matin.

 

La nuit a été un enfer, à tel point que j'en ai presque regretté le téléphérique. Bons dormeurs après leurs excès, les trois chinois ont ronflé à l'unisson, sans se soucier du rythme sans harmonie de leurs saccades nasales, et encore moins de la gêne occasionnée aux autres. L'intensité était telle que les passagers des compartiments voisins se plaignirent : ils n'entendaient même plus le train rouler. Les vacances se concluront sur cette note exotique.

 

 

 

 

5°/ Vendredi 20 juillet : Retour au bercail.

 

A neuf heures du matin, nous arrivons à Suzhou, peu reposés. La chaleur est bien plus intense qu'à Huangshan. Nous prenons un taxi après avoir poireauté dans la file d'attente, et dix minutes plus tard, gravissons les six étages qui nous mèneront à notre appartement. Je prendrais une douche rapide, m'installerais à nouveau derrière le PC, et reprendrais le travail immédiatement, comme si la coupure à Huangshan n'avait été qu'un rendez-vous de plus sur un agenda professionnel.

 

Mais le soir même, en devisant les nombreux clichés pris durant ce bref séjour, le virus du voyage m'a repris; et je fis part à Cai Li de mon envie renouvelée de prendre le sac à dos. Avec un sourire étonné, mais heureuse de découvrir ma bougeotte, elle conclura que j'étais bien plus jeune que les cadets qu'elle connaissait, qui préfèrent s'enfermer dans un quotidien cotonneux figé, et rêvent de porter des chaussons inusables. Par cette sentence rassurante, Cai Li aura conclu la thérapie mentale que je m'étais infligée en préambule à mon anniversaire, me guérissant de mon impression de vieillesse prématurée.

 

Puisque je vous dis que je vais beaucoup mieux.

 

 

 

 

 

 

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14 août 2007 2 14 /08 /août /2007 09:49

Mi-mai, Cai Li évoqua la proximité de mes trente-cinq ans. J'avais répondu par une moue absorbée, tout en réglant derrière le PC les petits soucis constituant un quotidien professionnel. Elle s'était refermée, vide d'instructions quant à mes desideratas d'anniversaire, évènement dont j'étais pourtant l'objet.

 

Les jours s'égrainant, j'ai ressassé le même constat : il y a quatre ans et demie, âgé de trente ans, j'atterrissais en Chine tout pétri de naïveté et de courage. J'étais parti en quête de spiritualité, et ne suis arrivé qu'à m'abrutir de travail. La Chine, camp de base pour s'imbiber l'esprit, était devenue qu'une source de réussite par le travail.

 

Fin mai, à l'aurore de trente-cinq ans éclairée par deux bougies numériques au sommet d'une gourmandise à la crème, je me suis éveillé. La vie est belle, mais courte. Le travail est aboutissant, très bien. Quid des rêves qui m'ont porté si loin ? En contrecoup d'une pauvreté historique, la Chine n'est irriguée que par le succès. Et combien en plains-je, ici, des léthargiques richissimes, qui sortiront de leur hibernation au crépuscule, pleurant de ne pouvoir héberger leurs millions dans la tombe ? Je ne veux pas finir comme eux.

 

Je l'ai avoué à Cai Li, en réponse tardive à l'interrogation qu'elle avait formulé deux semaines plus tôt. L'activité de ma société, fruit d'un copieux coup de collier qui a duré deux ans, est pérenne. Le sacrifice, pour peu qu'il puisse être ainsi qualifié, aboutit et promet pour l'avenir. Mais à l'orée de mon anniversaire, je me suis demandé comment j'étais passé de trente-trois à trente-cinq ans, sans m'en être rendu compte, trop absorbé pendant deux ans par la seule viabilité de l'entreprise.

 

Et puis à trente-cinq ans, on a perdu son sentiment d'immortalité. On sait que les lendemains se décomptent, et qu'il y en aura un dernier. J'ai senti peser la menace de n'ouvrir les yeux sur mes rêves inaboutis que dans dix ans. Tout homme vit une crise, dès lors qu'il réalise que sa jeunesse est passée de mode.

 

Fin mai, c'était ma crise.

Mais je vais beaucoup mieux, je vous remercie.

 

Parce qu'après réflexion, quand on prend de l'âge, rien ne change. A l'image de la loi de Lavoisier, rien ne se perd, ni ne se créé, et tout se transforme. Passée la trentaine, on perd en cheveux ce qu'on gagne en bide. La prise d'âge, on ne la réalise pas au coeur. On en prend conscience dès lors qu'on a du poil qui commence à pousser dans les oreilles.

 

Prendre le travail pour prétexte est facile, surtout quand on se gargarise d'être un artisan de l'international, dont l'indépendance noble oblige un travail léché. Et, "je n'ai pas le temps, j'ai trop de travail !" reste une excuse. Le métier est aboutissant, et l'argent gagné doit servir d'autres accomplissements plus spirituels... Comme les vacances ! Et puis, depuis deux ans que Cai Li est dans ma vie, nous ne sommes jamais partis en congés amoureux. Au même titre, mes derniers moments de farniente réels, sans téléphone ni internet, remontent à quatre jours passés au Hainan en septembre 2004.

 

A ruminer mon trentenaire et demi dans la différence du temps qui passe, j'en suis arrivé à la conclusion jouissive que mes rêves aventureux nécessitaient un dépoussiérage. La meilleure façon de m'y atteler était de renfiler le sac à dos qui avait accompagné mes baroudages planétaires avant l'expatriation (oui, quand j'étais jeune, donc), et de rechausser mes bottes de sept lieux. J'ai donc proposé à Cai Li de mettre à profit celui de ma société, le dépensant en partie lors de périples en Chine.

 

Maintenant que mon analyse psychologique a été faite, avec pour bilan que les voyages ne forment pas que la jeunesse, je partirais régulièrement, au bras de Cai Li, à la découverte de son pays dix-huit fois grand comme l'hexagone, et qui s'enorgueillit d'une civilisation datant presque autant que l'Egypte antique.

 

Je vous remercie tous de cette thérapie de groupe, qui m'a fait un bien fou, et offre (preuve de ma gratitude) de vous raconter le récit de notre premier séjour choisi, à savoir dans le sud de la province de l'Anhui, autour de Huangshan, où "montagnes jaunes". Même si l'anniversaire révélateur a eu lieu fin mai, Cai Li et moi-même n'avons pu libérer du temps qu'à la mi-juillet, et pour trois jours seulement, car comprenez-vous, "je n'ai pas le temps, j'ai trop de travail !"

 

1°/ Lundi 16 juillet : les grands départs.

 

J'éteins mon PC à vingt et une heures. Notre train part dans deux heures et demie. Je n'ai pas encore rempli notre sac, et mon cerveau est encore connecté de commandes et de relances. Les sourcils froncés par le travail, j'attrape les affaires que Cai Li a déposé sur le lit, les enfournant dans le sac à dos : caleçons, chaussettes, tee-shirts, calculatrice. Je m'arrête un instant. Nous partons en montagne, à près de deux mille mètres d'altitude. Pourquoi emporter la calculatrice ?

 

Je me masse les tempes du pouce et de l'index. La calculatrice, c'est mon prozac comptable. Au calcul, je rassure les rentrées d'argent, les objectifs accomplis, et la faisabilité de ceux à atteindre. En société, ou pour le compte de la mienne, je la dégaine d'une dextérité pistolérote, déchargeant pourcentages et conversions de devises de la pression d'un doigt. Money Luke, l'homme qui tape plus vite que son nombre.

 

Je me surprends alors à deux titres. Le premier, c'est que j'ai glissé la calculatrice dans le sac de façon réfléchie, et pourtant complètement automatique, comme si elle faisait partie de la panoplie standard du vacancier. Le deuxième, c'est que je ressens un mal-être à l'idée de l'en retirer, comme si trois jours sans calculette allaient engendrer un manque (à gagner, dans ce cas). Fermant les yeux sur ma calculoïte incurable, je l'enferme dans un tiroir, évacuant le sentiment de perte par le remplissage d'artefacts plus à propos.

 

Cai Li a fait des achats en prévision du périple : un abondant sac plastique rempli de xiaochi (la traduction serait "petit manger"). On y trouve, à foison, des bonbons gélatineux aux saveurs thé vert, des barres de chocolat fondues sous la chaleur estivale où surnagent des éclats de noisette, et des tranches séchées de boeuf au piment. Amoureusement, elle a prévu pour deux, mais sera la seule à s'en délecter.

 

Nous quittons notre appartement après avoir débranché toutes les prises, éteins les lumières, et escamoté les PC portables dans nos méandres placardesques, sous des couettes qui prendrons la poussière jusqu'à l'hiver. Nous descendons prestement les six étages, tout en comptant au toucher le contenu de nos poches. En braille, nous n'avons rien oublié. Les ténèbres nocturnes n'offrent aucune fraîcheur. L'été, dans le Jiangsu, à quelle qu'heure, il fait toujours chaud et humide. Nous hélons un taxi qui nous déposera à la gare.

 

La gare de Suzhou, c'est la cour des miracles. Répandus là se trouvent pléthore d'humbles vautrés sur leurs volumineux sacs à stries pastels, les polos remontés jusqu'aux pectoraux osseux, les sandales ou chaussons élimés, et les pantalons retroussés sur des mollets allumettes.

 

En Chine, on pénètre à l'intérieur des gares en justifiant un billet à l'entrée. Cai Li montre les nôtres et nous rentrons. Malgré l'heure tardive, c'est la cohue. Nous atteignons la salle d'attente. Les gares fonctionnent en aéroports : on attend son train dans une salle bondée, jusqu'à l'embarquement, où la foule de voyageurs se rue à quai, avec l'obligation de représenter son billet pour y accéder.

 

A vingt trois heures trente, nous nous frayons un passage au bord de la voie. Le train vient d'arriver, et repart dans neuf minutes. Nous courrons jusqu'au wagon où nous attendent nos couchettes. Il existe en Chine deux classes : mou et dur. Et notre niveau de vie de nabab nous permet de nous offrir la classe molle.

 

Très étonnement, des français partagent le même compartiment : couple aventureux de l'éducation nationale, profitant des généreuses congés d'été pour explorer la Chine, avec leurs sacs à dos, leur guide du routard, leur jeune fils, et bien du courage, dans un pays où leur analphabétisme du chinois leur interdit de lire et de communiquer. Nous passons un moment à nous découvrir, jusqu'à ce que les lumières s'éteignent.

 

Dans un uniforme de gradé, le contrôleur officie pour la sécurité des voyageurs. Il passe avec une régularité métronomique dans les allées, nous aveuglant scrupuleusement au rayon de sa torche. Je m'ensommeille rarement, attendant les vacances, qui ont pourtant déjà commencé.

 

2°/ Mardi 17 juillet : Huangshan, nous voilà.

 

A cinq heures du matin, lassé d'avoir expérimenté toutes les positions géométriquement réalisables sur ma couchette, et au solde d'un sommeil comptabilisable en minutes, je me lève avec le soleil. Cai Li, comme la famille française, dort à poings fermés. Les chinois, qui se couchent comme les poules et s'éveillent au chant du coq, commencent à s'ébrouer bruyamment sous les draps. Souhaitant éviter de trouver leurs crachats matinaux dans les lavabos, je file me toiletter le premier.

 

 

Debout sur la plateforme séparant les wagons qui officie en coin fumeur, je devise le Lonely Planet. Même si il date de mon arrivée, il reste fiable. J'essaye de comprendre comment le train, partant à minuit, n'arrive qu'à dix heures à Huangshan. En potassant, je découvre que le train Shanghai - Huangshan (Suzhou étant une étape) passe à Nanjing, à deux heures et demie au nord est de Suzhou, alors que Huangshan se trouve diamétralement opposé, au sud ouest. Sans comprendre la logique du trajet, je referme le bouquin, dubitatif.

 

Il est dix heures. Nous arrivons à Huangshan. Je descends du train sous une température clémente. La famille française nous suit, comptant sur notre aide, car elle souhaite profiter de sa présence en gare pour acheter des billets pour Guilin, à l'autre bout de la Chine.

Cai Li se rue à l'extérieur. Etant passés par un voyagiste, un accompagnateur doit nous guider en bus jusqu'aux montagnes. Même sans expérience du voyage, ma fiancée a fait admirablement les choses : le forfait comprend les billets de train, les tickets d'accès aux montagnes, et une nuit d'hôtel en altitude. Car, idéalement, un passage à Huangshan doit compter un lever de soleil au sommet.

 

La course s'accélère à la sortie de la gare. Cai Li trouve notre contact, qui hurle de nous voir aider des français, alors qu'un car nous attend. Après le passage au guichet, nous courrons jusqu'au bus, emportant la famille française avec nous. Pour trente yuans, elle sera acheminée un peu plus loin, à son hôtel, en aval de Huangshan. Nous nous quitterons là, sans connaître nos prénoms, dans un échange sincère de sourires furtifs à la vitre du car.

 

Le bus mettra une heure pour atteindre l'aval, et nous déposera dans la cour d'un hôtel. Je descends pour fumer une cigarette. Un gardien m'indiquera une interdiction formelle de m'en griller une. Dans un sourire, j'écrase mon mégot à peine entamé : c'est les vacances. Et déjà, le parc forestier qui noie l'aval de son toit vert recolore notre grisaille citadine.

 

Un deuxième bus nous rejoint, pour nous déposer au pied de la ligne de téléphérique de Yuping Feng (ou "pic de l'écran de jade"). Un sympathique freluquet chinois nous y attend, sa prestation de guide étant incluse dans notre forfait. Cai Li et moi échangeons un sourire : nous ne sommes jamais partis seuls en amoureux. Après une explication avec le guide, nous nous passerons de sa présence d'érudit chaperon montagnard.

 

 

J'ai horreur du téléphérique : ma phobie du vide est abominable. Quitter le plancher des vaches, c'est ma kryptonite. Et dans la boite de Damoclès suspendue à un fil, la vue était aussi imprenable que l'éloignement du sol était terrifiant. Si l'enfer existe, il est dans les airs.

 

J'ai pris mon angoisse en patience, baignant dans une sueur niagaresque, le corps contracté jusqu'aux cheveux. A chaque passage sous un poteau du téléphérique, la cabine s'ébranlait dans un soubresaut prêt à me faire défaillir. J'ai fermé un oeil, engonçant l'autre orbite dans l'oeilleton du caméscope, espérant ainsi ne pas évaluer les distances et le vide qui les sépare.

 

Nous arrivons enfin, et après la minute qui me sera nécessaire pour reprendre tant l'équilibre que mes esprits, nous entamons notre marche vers Tiandu Feng (ou "pic de la capitale céleste"), trônant à 1849 mètres d'altitude. La tradition touristique nous oblige à y faire l'acquisition de deux cadenas en forme de coeur, où contre quelques billets, un artisan gravera nos deux noms. Nous les refermons sur la rambarde où quelques autres milliers de cadenas scellent les sentiments des couples passés là.

 

Un des objectifs du séjour à Huangshan, c'était l'extraction de la foule citadine, bruyante et fourmilière, qui nous exténue à Suzhou. Nous recherchions un havre où l'étouffante étreinte des autres aurait disparu. Le fiasco complet : la population y est aussi dense et surexcitée qu'un jour de soldes : impossible de faire un pas sans marcher dans quelqu'un. Au rang des outils inutiles et irritants, les guides chinois disposent par ailleurs d'un porte-voix pour déclamer leur argumentaire touristique, dont les décibels assourdiraient une corne de brume.

 

La foule est d'autant plus compacte autour de Ying Ke Song ("pin de l'accueil des invités"), qui est le symbole de la province de l'Anhui. C'est un pin à sommet plat, comme tous ceux qui hérissent Huangshan, avec cette particularité physionomique cassée de résineux tarabiscoté, qu'on ne retrouve que sur les peintures traditionnelles chinoises.

 

A Huangshan, les prix grimpent avec l'altitude. Nous avons déjeuné dans un restaurant de Tiandu Feng, et même si les plats y étaient délicieux, ils n'étaient pas aussi salés que la note. Cai Li sursautera à la vue du montant, croyant que c'était la date. Je souris, et sors mon portefeuille sans tergiverser : nous sommes en vacances, avons voulu venir à Huangshan, et n'y reviendrons à priori jamais tant une vie entière ne suffirait pas à découvrir toute la Chine.

 

Repus, nous attaquons notre ascension. Notre prochaine étape nous conduira à Guangming Ding ("sommet de la clarté"), guère plus élevé que Tiandu Feng, puisqu'à 1860 mètres d'altitude. Sur le trajet, nous traverserons Hehua Feng (ou "pic du lotus"), à 1864 mètres. Malgré une distance de quelques kilomètres, la difficulté des sentiers de montagne entrelacés et de leurs escaliers aux marches sèches, nous fera arriver des heures plus tard.

 

Le paysage montagneux et forestier aux formes uniques et tourmentées, vaut très largement la fatigue occasionnée. La brume se déplace en vapeurs spectrales pour recouvrir les pics rocailleux ombragés, dans un silence que seul la population touristique brise. La structure de la flore est incompréhensible : des pins prennent racines dans la pierre, sur des flancs pourtant verticaux et inaccessibles autrement qu'avec du matériel d'escalade.

 

Le travail d'aménagement fait à Huangshan est impressionnant. Les sentiers sont bien organisés, et les indications, dans un parc pointu de soixante-douze sommets, permettent de s'orienter sans difficultés. L'entretien du site est époustouflant, d'une propreté impeccable, malgré la foule constante.

 

Guangming Ding est une plateforme en altitude. Il y a un petit magasin, ainsi qu'un panneau lumineux affichant les heures de lever et de coucher du soleil, ceux-ci restant parmi les spectacles incontournables qu'offre la chaîne de montagnes. C'est là qu'est notre hôtel, le plus pitoyable où j'ai séjourné. Pourtant, du fait de sa localisation au sommet d'un des sites les plus touristiques de Chine, les tarifs pourraient rivaliser avec ceux des suites présidentielles du Ritz.

 

La réceptionniste y est vautrée sur son coude, le regard vide et la moue avachie d'un crapaud aviné. Elle flatule un oeil agacé sur notre réservation, et jette une clé sur le comptoir avec la conviction professionnelle d'un moribond. Pendant que Cai Li tente de communiquer, je devise les prix, sans y croire tant ils sont délirants, et pourtant affichés sans honte. Les chambres coûtent de cent à quatre cent cinquante euros. A Suzhou, pour dix euros, on aurait une chambre cent fois plus confortable.

 

Nous rejoignons notre chambre, souhaitant faire une pause avant le dîner. Nous traversons un paysage hôtelier post-apocalyptique. Sur le palier de la cage d'escalier sont installés des matelas à même le sol. Nous nous accrochons à la rampe, faisant un petit bond pour éviter de marcher sur leurs occupants. Notre étage offre une vision d'exode : dans les couloirs sont alignés des lits militaires à deux étages, où dormiront les plus humbles. L'espace entre ces lits et le mur est tellement étriqué qu'il faut y passer sans sac à dos, en marchant en crabe. Ce n'est pas un hôtel. C'est un camp de réfugiés.

 

La chambre n'est pas mieux. La fenêtre donne sur l'intérieur de l'hôtel, puit de lumière sur un bar bruyant deux étages plus bas. Le climatiseur ne fonctionne pas : la réception nous assure qu'en montagne, les nuits sont froides. La moquette nécessite un shampooinage au lance-flammes. Je refuse d'y marcher en chaussettes, et encore moins pieds nus. Cai Li fait de même, par peur d'avoir à se faire vacciner contre l'hépatite à notre retour. Les draps sont si jaunes qu'ils ont du servir de linceul à une momie. La poignée de la porte de la salle de bain me reste dans la main. Cai Li, en nage, enrage : la télé n'a pas de télécommande.

 

 

Nous dînerons dans l'hôtel, faute d'autre choix à cette altitude. Comme pour le déjeuner, la gastronomie familiale est délicieuse, mais les prix sont dix fois supérieurs à ceux normalement pratiqués en Chine. Fourbus, nous regagnerons notre chambre. J'y dormirais habillé, au-dessus des draps, en priant pour qu'un cafard ne vienne pas me ronger une oreille en plein sommeil.

 

3°/ Mercredi 18 juillet : Huangshan, archipel de montagne et mer de nuages.

 

Nous avions mis nos réveils à quatre heures et demi du matin, le soleil se levant à cinq heures dix-sept. Nous l'avons fais pour rien, à double titre : dès quatre heures du matin, le brouhaha ambiant nous a réveillé, et le ciel était tellement englué de brume qu'il n'y a rien eu à voir.

 

Se frayer un passage jusqu'à l'esplanade de Guangming Ding a été difficile. Plusieurs centaines de chinois, armés de leur manteau de pluie et de leur appareil photo, stationnaient avec excitation en espérant voir l'astre se lever. Le ciel est passé du noir au gris au crème, sans que le soleil n'apparaisse, masqué qu'il était derrière un mur de nuages.

Dans tous les cas dans l'incapacité de se rendormir, nous nous sommes préparés, avons enfilé la petite laine que nous avions bien fais d'emporter, et avons entamé notre journée de marche dans Huangshan, quittant avec délice un hôtel où nous ne refoutrons plus jamais les pieds.

 

L'objectif de ce matin-là était d'atteindre Bei Hai, soit "la mer du nord", pour en faire notre dernier terrain vague avant la descente. Un détour nous permettra d'admirer Feilai Shi, rocher posé étonnement et naturellement à la verticale. Mais la brume matinale nous empêchera de visualiser le caillou autrement qu'en étant à portée de main.

 

La promenade était magnifique. Traverser ces sentiers forestiers où les arbres se décalquent vaporeux en filigrane du brouillard, dans un silence plein, donnait l'impression d'évoluer dans un dessin traditionnel chinois en trois dimensions. Féerique, fantomatique, et foncièrement inoubliable. En avançant dans ce décor de conte exotique, Cai Li et moi-même nous sommes surpris à parler à voix basse.

 

Une heure plus tard, nous arrivons à Bei Hai, où la cohue touristique nous a devancé. La brume s'est finalement effacée, laissant apparaître un ciel clair et saupoudré de coton. La vue est imprenable : plongeon sur les gouffres qui séparent à pic de l'aval, et horizon vertigineux sur les autres sommets. Nous déambulerons pendant plusieurs heures d'un rocher à l'autre, étreints tant par la trouille du vide que par la majesté du somptueux paysage. Bei Hai est vaste, et chaque pas offre une merveille à l'oeil.

 

Comme partout à Huangshan (exception faite des hôtels, donc), Bei Hai est d'une propreté stupéfiante. A mon retour, j'en discuterais avec un chinois amateur de trekking. Il m'expliquera que l'équipe d'entretien prend des risques mortels pour accéder à des détritus perchés à flanc de falaise. Au su de l'inconscience des chinois en matière de sécurité, je ne serais pas surpris.

 

Après un repas réparateur, et préparateur de la marche qui nous attend, nous attaquons notre descente. Sur le trajet, nous croiserons des porteurs ravitaillant les hôtels en amont à la force de leurs épaules et mollets. Certains transportent des cartons de boissons, d'autres du linge. Tous m'impressionnent par leur endurance, à gravir, lourdement chargés, les près de huit kilomètres qui séparent l'aval du sommet. Malgré ce travail de bâtisseur de pyramide, plus d'un esquissera un sourire à mon passage.

 

Etonnement, la descente est plus difficile que l'inverse ! Les escaliers n'en finissent pas, écrasant chaque pas sur une marche plus brutale que la précédente. Les cuisses, les genoux et les mollets commencent à nous peiner. Cai Li a du mal à suivre, et je n'arrive pas à freiner mon rythme, par peur de manquer d'endurance. Le téléphérique passe au-dessus, et malgré la difficulté, je n'échangerais ces escaliers de roc contre aucune boite vitrée dans le vide.

Nous mettrons quelques heures à descendre ces milliers de marche qui suivent la topologie accidentée des montagnes. Cai Li m'en veut de ne pas l'attendre. Elle entame la conversation avec des touristes, espérant que les discussions feront passer le temps et la douleur. Lâchement, je fais des pauses, prétextant que j'attend qu'elle me rejoigne.

 

Victorieux et exténués, nous arrivons en bas. Sur le vaste parking, des chauffeurs de taxi nous harassent sans nous laisser reprendre notre souffle. Cai Li négocie rapidement avec l'un d'entre eux, pour que celui-ci nous dépose à notre nouvel hôtel... Car le voyage ne s'est pas arrêté là.

 

Nous passerons la nuit dans la ville de Huangshan, en aval, à des tarifs cette fois raisonnables. L'hôtel est confortable, et le gérant d'une amabilité qui redonnerait foi en l'humanité. Il discute avec nous comme si nous étions ses invités, aux quels, avec passion, il souhaiterait faire découvrir la région. Sachant que notre train pour Suzhou ne part que le lendemain soir, il nous aide à organiser nos déplacements, et y va de ses recommandations quant aux sites à privilégier. Et pour vingt euros, nous règlerons la location d'un taxi pour tout le lendemain, qui passera nous prendre après le petit-déjeuner, pour nous déposer à la gare le soir même. Quand nous lui demanderons quel est le niveau de confiance que nous pouvons accorder au chauffeur (pour qu'il ne nous laisse pas en plan en ayant volé nos affaires, ou bien qu'il n'accélère pas le mouvement, nous frustrant du voyage), il nous répondra dans un éclat de rire qu'il n'y a aucun soucis à se faire : il nous réserve le meilleur chauffeur, à savoir sa soeur !

 

Nous nous endormirons sereinement dans des lits propres et frais. Après la première nuit dans le train, et la seconde dans un hôtel holocaustien, du véritable repos était bienvenue.

(./..)

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1 avril 2007 7 01 /04 /avril /2007 08:02
La semaine dernière, Cai Li est venue me voir les pieds en dedans, me suggérant de l'accompagner à Jinjiang, un village du Jiangsu, pour assister au mariage de Zhao Li Li, une de ses amies de fac. Elle jubilait à l'idée de revoir ses copines, éparpillées depuis le diplôme, ainsi qu'à celle de me les présenter. Moi, j'y allais un peu à reculons : la campagne chinoise recense peu d'occidentaux, et je me voyais y attirer d'autant plus les regards. Et puis, j'ai déjà assisté à de nombreux mariages chinois. Réalisant toutefois l'importance que celà revétait pour elle, j'ai accepté, et ne l'ai pas regretté, tant nous avons passé une journée exceptionnelle.
1- La course au mariage, passage obligé d'une vie :

Au sortir des études, les chinois trouvent un travail, et l'étape suivante, pour s'intégrer dans la société, c'est de se marier. J'entends souvent des célibataires clamer : "L'an prochain, je me marie !" Et quand je réponds : "Félicitations ! Avec qui ?", j'ai toujours droit à la même conclusion : "Je n'ai personne et dois trouver un(e) petit(e) ami(e) d'ici là." Ici, c'est très commun, et quand je mentionne la problématique sentimentale, on me répond que l'épouse ne se doit pas d'être celle qu'on a le plus aimé, mais qu'il faut fonder une famille à l'âge approprié. La famille est accomplissante, l'amour optionnel.

En Chine, ne pas être marié à trente ans ne génère que suspicion, particulièrement s'agissant des femmes. Moi-même, qui, étant pourtant étranger, sort des gabarits chinois, était regardé d'un oeil torve quand j'avouais être seul. Depuis un an et demie que ma vie de couple est établie, la perception que les chinois ont de moi est beaucoup plus rassurée : je suis rentré dans la norme sociale. Car à mon âge, être célibataire est symptômatique d'une instabilité. Pire encore, et qui accentue la course au mariage : une femme, passé trente ans, a peu de chance de trouver un homme prêt à l'épouser : elle a atteint la date de péremption.

Zhao Li Li a vécu la perspective du mariage comme une libération. En fac, elle était la seule à ne pas avoir de petit ami, était effrayée à l'idée de ne pas en trouver un, et de ne pouvoir accomplir ce jalon essentiel qu'est la noce. Elle sera finalement la première de ses amies à se marier, avec un bonheur extrême.
 

2- La recherche de l'âme soeur :

Quand on a l'âge de se marier, on demande directement à ses amis si ils connaissent quelqu'un de libre et "de bien". Les parents eux-mêmes officient parfois en entremetteurs. Arrivé en Chine, et découvrant cette pratique d'introduction par des tiers, on trouve celà mignon, voire même euphorisant. C'est fantastique de se dire "ce soir, je vais rencontrer une fille pour la première fois, et peut-être qu'elle sera celle de ma vie !" Mais après une demie-douzaine de rencontres idoines, où on ne trouve pas l'amour, il n'en reste plus qu'un abbatage glacé, et un pragmatisme vide de romanesque.

On part en quête de quelqu'un avec qui passer sa vie, mais pas pour autant d'une passion éternelle. Les jeunes chinois recherchent une "fille bien", rêvant d'une vierge. Ils ne veulent pas épouser une femme divorcée, et celles-ci sont mises au banc de la société, nonbostant les raisons de leur séparation. Epouser une divorcée, c'est comme d'acheter une voiture d'occasion qu'on n'aura jamais le droit de changer.

En rencontrant quelqu'un avec qui on se sent bien, que l'amour soit présent ou non, on planifie le mariage très rapidement. Il faut mettre à la décharge des chinois que la vie ici est exceptionnellement dure comparativement à l'Occident, et qu'il faut se battre tout le temps contre tout le monde, sans possibilité de recours auprès des autorités. Il ne s'agit pas d'une vérité vaine : le vide juridique est total, et la soif de pouvoir inhérente à la logique de pensée chinoise fait monter l'entubade sur le plus haut podium des traditions établies. La pire absurdité est prétexte au conflit, et le combat est épuisant. Les autorités plénipotentiaires se comportent en salomons, légiférant au coin de la rue des décisions autoproclamées, sans se soucier de la loi, et se limitant à leur propre ressentiment. Constituer un foyer, c'est pouvoir faire bloc, être plus fort, ne pas être seul face à l'adversité, et être reconnu comme une véritable entité sociale.
 

2- Les pressions familiales :

Contrairement à l'Occident, la Chine est restée traditionnaliste. Pour un amateur d'exotisme, c'est très stimulant de baigner dans ces coutumes inaltérables depuis Confucius... Même si ce traditionnalisme freine la progression : nous assistons à l'émergence d'une jeune génération qui peut prétendre aux rêves libéraux de la propriété, et malgré tout, les ingérences familiales restent totales.

J'avais été témoin, il y a quelques mois, d'un inoubliable lavage de linge sale en famille. A l'occasion des congés de mai, Cai Li et moi-même étions partis à Jiangyan, chez ses parents. Parents, grands-parents, oncles et tantes vivent dans le même hameau campagnard, et nous nous étions tous réunis un soir pour dîner. Chen Ri, cousin de vingt-cinq ans, de passage à Jiangyan, était parmi nous, avec ses parents. Le repas avait démarré tendrement, jusqu'à ce qu'on évoque sa vie privée. Celui-ci avait une petite amie avec qui il vivait. La chaleur familiale est alors montée d'un cran volcanique. Crescendo, la mère de Chen Ri beuglait que ce n'était pas une fille bien, et qu'il était hors de question qu'il l'épouse. La soufflante hystérique a duré une demie-heure, à tel point que mon beau-père m'invitera à sortir, pour "laisser l'étranger ne parlant pas notre dialecte hors de celà". Je m'étais retrouvé sur le perron de la fermette, à inspirer la fraîcheur nocturne pour atténuer la migraine générée par la castratrice hurlante. La mégère explosait si fort que, de l'extérieur,  j'entendais la vaisselle vibrer. Le fiston, rougi d'effroi, rentrait la tête dans les épaules en subissant le courroux maternel. Le plus étonnant, c'est que le reste de la famille pouffait de ce lavage de dents au savon.
 

Le repas s'est conclu sur une saveur amère. Pour digérer, Chen Ri nous demandera de le rejoindre en terrain neutre, dans notre chambre. Allongé sur le lit à fumer cigarette sur cigarette, il nous racontera qu'il a connu cette fille dans un bar, qu'elle n'a pas fait d'études, et qu'elle vivotte de petits boulots. Le tort qu'il a eu, consentira-t-il, c'est d'avoir expliqué à sa génétrice les circonstances de la rencontre. Apprendre que cette fille avait harponné son fils dans un établissement où, en Chine, les "filles bien" ne vont pas, l'avait empli d'une colère désespérée. Car ici, l'importance des convenances est extravagante : Cai Li et moi-même avions du, pour rassurer ses parents sur nos objectifs communs, inventer une présentation fomentée par un ami, alors que nous nous sommes rencontrés en discothèque. Chen Ri, écartelé entre son propre mal-être sentimental, et celui de sa mère, ne savait quelle décision prendre.

Cai Li et Chen Ri m'ont demandé mon avis, moi qui provenait d'un autre horizon. Si mes parents s'étaient comportés ainsi, je me serais levé de table et serais parti. Je ne tolérerais pas qu'ils me forcent dans des choix qui m'appartiennent entièrement. Mes parents ont toujours respecté mes décisions, tout en me mettant en garde. En réponse, j'ai eu droit au systématique "tu ne peux pas comprendre : tu n'es pas chinois". Pourtant, je reste convaincu d'avoir des parents justes. Je n'ai pas souhaité m'arrêter là, et ai posé la question qui n'avait pas été évoqué, à savoir "Chen Ri, est-ce que tu es amoureux d'elle ?" Sa réponse a été ambigüe, amalgammant le fait qu'il était épris d'elle, et celui qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences familiales. Quand j'ai conclu que c'était à lui qu'elle devait plaire, et pas à ses parents, j'ai été sentencé du même axiome : "tu n'es pas chinois : tu ne peux pas comprendre." Et nous n'en avons plus parlé.
 

Quelques semaines plus tard, Chen Ri passera un coup de fil à Cai Li, pour lui dire qu'il est à Suzhou pour une nuit, avec sa petite amie, et qu'il se propose de nous la présenter. La porte lui est toujours ouverte, et nous les avons accueilli avec plaisir. La demoiselle m'a fait l'effet d'un animal craintif à l'idée d'une confrontation familiale où elle serait jugée. Chen Ri nous expliquera qu'ils sont venus à Suzhou pour fuir la pression familiale. Finalement, quatre mois après leur passage à Suzhou, Cai Li m'annoncera que Chen Ri avait rompu. Elle n'a pas évoqué le sujet plus en avant, mais j'ai très bien compris que la désaprobation parentale avait sonné le glas de sa relation.
Et ça ne s'est pas arrêté là !

En février, nous sommes retournés à Jiangyan pour fête le nouvel an chinois. Chen Ri était présent... Avec sa nouvelle petite amie. Elle était à notre table, pleinement intégrée à la famille. Lors du dîner, Chen Ri nous annoncera qu'ils allaient se marier... Onze jours plus tard. En haussant les sourcils, j'ai fais un rapide calcul. Il s'est séparé de sa précédente dulcinée quatre mois plus tôt. En si peu de temps, il a réussi à faire son deuil, à rencontrer quelqu'un d'autre, à officialiser une relation, à la demander en mariage, à la faire accepter, et à organiser la noce pour qu'elle puisse être célébrée deux semaines plus tard. Grand prix, palme d'or, et félicitations du jury.

Un peu plus tard, alors que Cai Li et moi-même nous retrouvions dans la chaleur intime de la couette conjugale, je l'ai questionnée sur Chen Ri et sa future épouse. Elle m'avouera qu'il s'était séparé de sa précédente petite amie car il n'assumait plus le fiel familial. Suite à la rupture, ses parents lui ont présenté sa future épouse. Même sans être amoureux, il se sentaient bien ensemble, et l'optique du mariage semblant ravir l'entourage familial mutuel, ils ne voyaient pas de raison de ne pas se marier. Ainsi, le problème du mariage, passage obligé de la vie des jeunes chinois, était réglé.
 

3- Une monogamie conceptuelle :

Ici, l'image que l'on donne de soi est essentielle : il faut montrer que l'on est un professionnel ambitieux, et un père de famille respectable. Dans de nombreux cas, ce n'est hélas qu'une façade. Une fois mariés,  les hommes cumulent fièrement les petites amies, héritage des concubines ancestrales. Même si les femmes ne le tolèrent pas, c'est une démarche générale de la gent masculine contre laquelle, exception faite d'un divorce, elles ne peuvent rien faire. Plus d'une fois, j'ai entendu des chinois dire :"je me marie, et après on verra bien...", façon d'avouer que la famille faisait partie de leurs plans, mais pas la fidélité.

Le cumul des petites amies prouve la réussite. Les chinois ont l'ego haut placé. L'amour, en dehors de celui qu'ils portent à cet ego, a peu d'importance. Je me souviens d'un chef d'entreprise qui, marié à la plus douce des chinoises, n'en additionnait pas moins de sept maîtresses. Quand je lui faisais part de mon incompréhension, il répondait qu'il était riche, et qu'il fallait que ça se voit. En France, un homme qui se vanterait d'autant de relations extraconjugales serait irrémédiablement relégué au rang des pauvres types. Ici, c'est le contraire : celui qui se contente de son épouse n'a aucune ambition. Même si celà n'est pas prêt de changer, j'entends de plus en plus parler de divorces, du fait d'aldutères : l'image de la femme chinoise soumise s'avèrerait surannée.
Ce chef d'entreprise a du divorcer, son épouse s'étant rendu compte de la supercherie qu'était son mariage. Quelques mois plus tard, pour rétablir sa position sociale, il s'est remarié. Comme je connaissais certaines de ses amantes, je lui ai demandé si il avait épousé l'une d'entre elles. Avec un petit sourire en coin, il me répondra que "les épouses ne sont pas les maîtresses". Le pouvoir est le plus puissant des aphrodisiaques.
 

Au début de notre relation, Cai Li m'avouait que c'était la raison pour laquelle elle avait souhaité s'acoquiner d'un occidental plutôt que d'un chinois. Elle ne pouvait s'imaginer vivre avec un homme montrant une façade de bon mari, pour mieux complèter un tableau de chasse. Au rang des idées reçues, il est éberluant d'entendre l'image que les chinois ont des occidentaux, sentimentalement s'entend. Je les écoute dire que les blancs ont beaucoup de petites amies, et qu'ils ne sont pas fiables. Ce à quoi je leur rétorque qu'ils ont mal compris : en Europe, le sexe n'est plus un tabou. Les occidentaux ont naturellement plus de relations avec le sexe opposé, mais pas en même temps, et à fortiori pas après le mariage. En Chine, le sexe reste un tabou social en apparence : il suffit de voir le nombre de maîtresses additionné par certains pères de famille.
 
Si le sexe reste tabou en Chine, c'est aussi du fait de l'éducation. J'en parlais avec Cai Li dernièrement, ne comprenant que modérément les gênes rougissantes aux quelles j'ai droit de la part des locaux dès lors que j'évoque le sujet dépassionnément. Elle me racontera qu'à l'école, elle n'a pas suivi de leçons de choses. L'éducation sexuelle est évoquée au lycée, mais les professeurs invitent les élèves à étudier dans leurs livres, sans donner de cours magistraux. Quand, adolescente, elle demandait à ses parents comment naissaient les bébés, ils lui répondaient qu'ils sortaient de sous les aisselles des femmes ! C'est un peu moins romantique que nos explications potagères. Les chinois partent à la découverte de leur sexualité en totale méconnaissance de cause. Encore actuellement, le bureau du planning familial propose aux jeunes couples, au préalable de leur mariage, de venir visionner des films éducatifs qui expliquent l'amour physique, ses modes opératoires, et les différentes géométries possibles... Sans nul doute pour éviter que les jouvenceaux ne se blessent lors de leurs premiers ébats. Rien d'étonnant à ce que certains d'entre eux, après avoir compris ce qui se déroulait dans les draps conjuguaux, aient envie de poursuivre leurs expérimentations dans le lit de tiers. Car je reste convaincu que ces messieurs adultères y ressentent une jouissance purement ludique.
 

4- Et l'amour dans tout ça ?

J'ai somme toute rencontré peu de couples chinois véritablement amoureux au sens occidental du terme, et en suis arrivé à la conclusion que le concept de l'amour n'est pas universel, mais culturel. Dans le cadre d'une expatriation, on réalise que de nombreuses vérités, pourtant essentielles et fondatrices, que l'on croyait uniformes d'un pays à un autre, sont variables en fonction de la culture.

En Chine, être amoureux, c'est avoir l'habitude de vivre avec quelqu'un qui prend soin de soi. L'époux gère toute l'intendance financière pour assumer l'assurance du couple et de l'enfant à venir. La sécurité prévaut, et se substitue à l'amour. En échange, la femme apporte son soutien. Et puis, sachant que les chinois ont une confiance relative les uns envers les autres, dès lors que l'on souhaite monter un commerce ou une entreprise, l'investissement est gèré en couple, tant dans l'actionnariat que dans le travail.
 

Les chinois qui ne sont pas résignés, ceux qui cherchent l'amour véritable et inaltérable, sont peu légion. Ceux-ci, au même titre que Chen Ri, doivent combattre un ennemi qui prend les proportions de leur environnement complet. J'en ai connu, et ceux-ci se sentent seuls au monde, poussés par leur famille pour obtempérer à ce qu'ici, on considère être la sécurité suprême : le mariage.

Il n'y a pas de réponse formatée à donner concernant le bonheur des couples mariés. Sauver la face est impératif en Chine, et les gens vous disent ce qu'ils ont envie d'entendre à leur sujet. A les écouter, tous nagent en plein bonheur. Pourtant, le poids du quotidien n'est pas dur à sentir. Combien en ai-je connu, angoissés à la perspective du mariage, pour être finalement extatiques au jour de leurs noces ? Je reste convaincu que dans la plupart des cas, c'est l'aboutissement social qui est le moteur de leur bonheur, et qu'ils l'assimilent à ce qu'en Occident, on nomme l'amour.
 

5- L'héritage des traditions :

Ancestralement, le mariage était l'union de deux familles, et le couple ne faisait parfois connaissance qu'au jour de ses noces. Le mari régnait en maître de famille, et l'épouse n'avait pas d'autres options que d'obéir. Les choses ont évolué : elles ne sont plus là pour pronlonger le nom, et ont légalement les mêmes droits que les hommes. En pratique, les femmes indépendantes font peur, car elles restent difficilement contrôlables. Mais on peut dorénavant choisir d’épouser qui on veut, même si, à la campagne, les traditions changent lentement.

Naguère, l’entremetteur était une profession à part entière. Il organisait le mariage, et faisait des études astrologiques pour confirmer que les deux fiancés se convenaient. Il règlait aussi les négociations relatives aux contingences matérielles. L’épouse partait vivre chez son mari en emmenant avec elle toutes ses possessions. En contrepartie, la famille de l’époux devait organiser un mariage digne d’elle. L’entremetteur discutait la quantité de nourriture pour les noces ainsi que les mets que la belle-famille souhaitait. Des cadeaux de valeur devaient être faits par l'époux à l’élue de son coeur. La profession a disparu, mais la fonction reste pérenne : l’entremetteur est un ami du couple qui visite les parents de la demoiselle pour obtenir un accord de mariage.
 

Par le passé, au démarrage de la célébration, le futur époux se rendait à pied chez la mariée, accompagné des membres de sa famille, en portant de hautes perches rouge. L'objectif était de montrer à tout le monde que l'épouse allait être récupérée par autre famille. Les perches servaient de chassis pour transporter les biens de la mariée dans la maison de sa belle famille.

Une fois arrivé, le cortège jetait des pétards autour de la maison de la jeune fille, pour repousser les démons. La famille de la mariée enpêchait quiconque de rentrer. Tout ceci faisait partie d'un rituel convivial, et sytématiquement, l’entremetteur réussissait à corrompre le barrage en offrant des cigarettes et des gâteaux.

A l'intérieur, les beaux parents attendaient l'époux et se faisaient un peu prier, toujours dans la bonne humeur, pour lui remettre des enveloppes rouges contenant de l’argent. Ce deuxième barrage forcé, il pouvait enfin retrouver sa bien aimée. Puis, tous se mettaient à table, où ils restaient jusqu’au milieu de l’après-midi.
 

 

Après le repas, on allongeait les perches rouges tout en sortant les affaires de la mariée. Le petit convoi reprenait sa route, avec l'épouse et ses biens. Même si la maison du mari se trouvait à l'extérieur du village, on traversait systématiquement le bourg, pour que les habitants réalisent que l’épouse venait de changer de famille. 

Une fois arrivé, on rentrait le mobilier dans la maison. C’est la tante du marié qui était chargée de chaperonner l'épouse pour sa dernière soirée de célibat. Toutes les femmes mangeaient à part, pendant que les hommes faisaient la fête de leur côté. Certains plats avaient, et ont encore, une symbolique : la cacahuète représente la fécondité, et tous les aliments ronds caractérisent l’union familiale. Un nombre de plats pair est servi, pour apporter chance et bonheur aux époux. A la fin du repas, qui durera plusieurs heures, ils se lavaient le visage, en signe de nouveau départ. Enfin, la jeune fille était présentée à sa nouvelle famille. A son tour, on lui donnait de l’argent dans une enveloppe rouge. La fête durait toute la nuit et les époux ne se retrouvaient dans l'intimité qu'au lendemain.
 
 
6- Se marier en ville :
 
En ville, les mariages sont très sommaires. Les chinois attachent plus d'importance à la superstition des dates qu'aux jours ouvrés, et il n'est pas rare d'être invité à une noce en milieu de semaine. Les festivités se résument à un dîner d'une heure ou deux, dans un hotel classieux. J'ai toujours été un peu surpris de ce mode expéditif, qui rend l'évènement sensiblement moins... Evènementiel.
 
Les invités arrivent en short et tee-shirt, et quand je les rejoins, taillé dans la coupe européenne de mes costumes, on me sourit en me demandant pourquoi je suis sur mon trente et un pour un mariage. Quand je réponds que dans mon pays, c'est la tradition, les chinois trouvent la démarche élégante. Les époux reçoivent les invités à l'entrée de l'hôtel. A leurs côtés trône une photo d'eux au format affichette, prise au minimum quelques semaines auparavant, dans une posture si hollywoodienne qu'elle en devient risible. En plus des félicitations, on leur adresse une enveloppe rouge contenant de vingt à cent euros, en fonction de la relation.
 
 
Durant le repas, on assiste à des mises en scène amusantes, telles que la découpe de la pièce montée, ou la fontaine de champagne. Il s'agit uniquement de mises en scène, car d'une part, c'est une mode importée d'Occident, et d'autre part, la pièce montée comme les coupes de champagne sont laissées en l'état, sans que personne n'y touche. Une fois le dîner expédié, après que les mariés aient terminé leur tournée pour offrir cigarettes et trinquer, tout le monde rentre chez soi.
 
 
Durant les noces, il y a deux étapes, qui existent en Occident, et qu'on ne retrouve jamais en Chine : le mariage civil, et la prise de photos. Les chinois considèrent le mariage civil comme une démarche purement administrative, et il n'y a aucune célébration. Les futurs époux, avec leurs papiers d'identité, se rendent au bureau local dédié, y font la queue, et n'ont qu'un formulaire à remplir face à un fonctionnaire qui officialise la relation d'un coup de tampon. Les photos de mariage sont prises bien avant la célébration, parfois même un an avant ! Très souvent, le week-end, en se promenant dans des parcs reconnus pour leur beauté, on croise de équipes de photographes, avec un ou deux couples, et qui les immortalise dans des pauses outrancières, et manquant complètement de naturel. Les époux auront choisi leurs vêtements dans la garde robe de déguisements de ces studios de photos, et passent un après-midi entourés de ces paparazzi. Rien qu'à Suzhou, il doit y avoir une trentaine de photographes proposant ce type de prestation. Le plus réputé s'appelle "Paris Photos", dans un souci de romantisme certainement, et dispose d'un magasin avec des conseillers en photo de mariage... Qui ne désemplit pas. Les clichés sont ensuite retraités sous les logiciels appropriés pour que les tourtereaux soient complètement vidés de leur naturel, et ne ressemblent plus qu'à des gravures de mode glacées qui ne les ressemblent plus. Qu'importe que celà est l'air vrai : les chinois trouvent ça beau.
 
 
7- Le mariage de Zhao Li Li :
 
Certaines pratiques traditionnelles sont encore d'actualité. Zhao Li Li nous accueillera chez ses parents, à Jinjiang. Enfermée dans sa chambre, elle était revêtue d'une somptueuse robe blanche froufroutante et meringuée, à l'appartenance occidentale fondamentalement mode. Les mariées chinoises sont indéfectiblement magnifiques : le matin de leurs noces, elles passent de longues heures chez un apprêteur professionnel qui aura blanchi leur visage, pailleté le bord de leurs yeux en y ajoutant des faux-cils félins, et arrangé leurs cheveux voluptueusement. Très souvent, ce n'est qu'à la robe blanche qu'on reconnaît ces beautés somptuaires d'un jour, qui révèlent pourtant un physique banal au quotidien.
 
Les amis et la famille défilèrent, en attendant l'arrivée de l'époux, et le démarrage des festivités. Alors que les retrouvailles entre copines de fac fusaient, à l'extérieur, les préparatifs allaient bon train. Des bassines de poisson, de viande, de légumes, et de larges woks étaient entreposés sur le béton de la cour, pendant que les femmes préparaient les ingrédients du déjeuner dans une bonne humeur travailleuse. Une heure passa, durant laquelle tables rondes et vaisselle furent installées. Laissant Cai Li profiter joyeusement de la présence de ses amies, je joindrais l'intendance, sous les rires des chinois, qui n'imaginaient pas qu'un étranger sache mettre la table.
 
 
Au dehors résonna l'explosion consécutive de ribambelles de pétards : c'était l'époux. L'usage d'artifices permet tant d'annoncer son arrivée, que d'éloigner les mauvais esprits. Même si cette superstition n'existe plus, l'utilisation des pétards est perpétuée pour son côté festif. Le prétendant n'arrive plus chez son épouse à pied, mais à bord d'une voiture avec chauffeur. En ville, on croise de somptueuses limousines de location, rutilantes de chrome, décorées de pourpre, et qui dissimulent jusqu'à leurs plaques minéralogiques sous de pimpantes bandes de papier rouge et or affichant "cent ans de bonheur".
 
 
Fidèles à la tradition, les parents de Zhao Li Li laisseront la grille d'entrée scrupuleusement close. Je me glisserais dehors, ne souhaitant pas en manquer une miette. A l'extérieur, entourée d'un atroupement jouissant du spectacle autant que moi, la famille de Zhao Li Li, et celle de son époux, batailleront dans une joute verbale hurlante qui durera un bon quart d'heure. L'époux devra argumenter à gorge déployée toutes ses meilleures intentions vis-à-vis de sa future épouse, et, en échange de quelques paquets de cigarettes, pourra finalement rentrer. Suant mais renforcé par cette première victoire, il se précipitera en courant vers la chambre de Zhao Li Li, brandissant un pharaonique et magnifique bouquet de fleurs à l'intention de sa femme.
 
 
A la porte de la chambre, les meilleures amies de la mariée, Cai Li en tête, lui refuseront l'accès, pouffant de leurs taquineries à l'encontre du jeune homme, allant jusqu'à lui demander de l'argent, avec un sérieux réquisitionniste. Ce n'est qu'après une dizaine de minutes, une fois que ces demoiselles se seront lassées de ce petit jeu, et que Cai Li restera la seule à faire obstacle, qu'il forcera violemment le passage pour accéder au coeur de son aimée. Le mariage, ça se mérite.
 
Dans la chambre, le prétendant endimanché se jettera aux pieds de l'élue et de son lit, lui offrant son bouquet ravissant en échange d'une vie à ses côtés. Les rires continuèrent, et, alors que la pièce se remplissaient d'amis et de membres de la famille, les félicitations explosèrent : elle venait d'accepter.
 
Nous passerons tous à table. Un plat de poisson était posé au centre. Lorsque, les baguettes malhabiles, je tenterais d'en saisir un morceau, Cai Li me l'interdira. Le poisson est un symbole de prospérité : lors des mariages, le repas en comporte toujours un, auquel aucun des convives ne doit toucher, pour apporter la richesse. J'ai fais sourire les chinois de mon ignorance, et j'ai appris quelque chose.
Sur la table, des paquets de cigarettes étaient posés à l'intention des invités. En Chine, on fume socialement, la cigarette étant, au même titre qu'un repas arrosé, un plaisir. La cigarette est surtout une manière de souhaiter la bienvenue : quand les oncles de Cai Li arrivent chez ses parents, sa mère me donne toujours un petit coup de coude, et, en comprenant la raison, je sors de mon paquet autant de cigarettes qu'il y a d'intrus, et leur distribue. Avant la fin du repas, les époux devront aussi faire la tournée des tables pour trinquer avec tous les invités, allumant une cigarette à chacun d'entre eux. Même les non-fumeurs souscrivent à la coutume sans aucunement diaboliser la tige, quitte à l'écraser l'instant d'après. Dans ce genre de circonstances conviviales, fumer, pour quelqu'un qui n'est normalement pas enclin à le faire, c'est prétexte à s'amuser.
 
Le déjeuner terminé tardivement, nous avons suivi la caravane de voitures qui, une fois chargée des affaires de Zhao Li Li, se rendra chez les parents de son époux. C'est là la version moderne de la tradition des perches rouges. Sur la route, point de concert et klaxonnade, mais les décorations arborées par les véhicules étaient suffisantes pour prouver qu'il s'agissait d'un cortège de noces. Arrivé devant chez les parents de l'époux, les convives et la famille ont fait à nouveau exploser des pêtards, au grand intérêt du voisinage, et nous sommes rentrés... Pour passer à nouveau à table.
 
Tous les cadeaux de mariage, ainsi que les affaires de Zhao Li Li, furent disposés dans leur chambre. Le lit conjugal avait été spécialement décoré pour l'occasion du sinogramme du double bonheur. L'ancienne tradition donnait une importance fondamentale au lit du jeune couple. A l'époque, il était spécialement fabriqué par un artisan, et décoré d'enluminures souhaitant la fécondité et le bonheur.
 
Pour le dîner, Zhao Li Li avait changé de robe, préférant cette fois un apparât flamboyant de rouge, couleur du bonheur et du mariage en Chine. Souvent, dans les mariages chinois, les épouses changent trois fois de robe, de la robe contemporaine occidentale à traineau, jusquà la qipao traditionnelle au col Sun Ya Tsen, juste au corps, brodée de soie, et échancrée jusqu'au haut de la cuisse. Nous sommes repartis au solde de ce deuxième repas, tout aussi festif que le premier, le ventre plein, et des émotions plein la tête.
 
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17 mars 2007 6 17 /03 /mars /2007 08:21

Quand je suis arrivé en Chine, je me suis pris ma différence en pleine face. Naïf, je m'étais dis que j'intégrerais les attitudes des autochtones après un certain laps. Cela s'est avéré partiellement vrai : je m'en suis approprié certaines, les reproduisant même lors de courts séjours en France, à la grande stupéfaction de mon entourage, qui se demande bien quel plaisir me procure la copie d'habitudes chinoises qui ne me ressemblent pas. Et puis, il y en a d'autres aux quelles je ne me suis jamais fais.

Je souhaitais partager avec vous certains de ces comportements, qui me tapent sur le système, et que vous aurez peu de chance de trouver énumérés dans un guide touristique vantant la culture plurimillénaire de l'Empire du Milieu, plutôt que sa goujaterie. Il n'y a aucune méchanceté, mais une volonté de montrer que la différence n'est pas obligatoirement synonyme de tolérance. Et puis, qui aime bien châtie bien. Les expatriés me comprendront.

 

1- Le regard des autres : circulez, y a rien à voir !

En Chine, les étrangers sont constamment dévisagés. Il n'y a aucun racisme dans ce comportement, mais une curiosité naïve, et un prétexte à s'amuser gentiement... Les blancs et les noirs étant rares. Pourtant, en le subissant au quotidien, on finit par le vivre comme un viol. Tout le monde se retourne sur le passage des occidentaux, les étudiant longuement d'un regard voyeur, générant un malaise, comme si avoir une couleur de peau différente était une anomalie. Laissez-moi vous raconter deux anecdotes qui me sont arrivées il y a quelques semaines.

La première, c'était à la gare de Suzhou, avec Brice, un ami martiniquais. Nous discutions, et quatre chinois nous ont fais face à trente centimètres, alignés pour nous observer, parlants et souriants entre eux, tout en nous devisant de bas en haut, comme le premier rang d'une salle de spectacle qui monterait sur scène pour commenter les acteurs, sans remarquer la gêne occasionnée pour que ceux-ci déclament leur texte. Nous avons tenté de les ignorer, puis nous sommes déplacés, fatigués de ces quatre paires d'yeux qui nous scrutaient à bout portant. Mais ils nous ont suivi ! A grand renfort de remarques, ils pointaient du doigt chacune de nos actions, comme d'allumer une cigarette, ou d'acheter une canette de soda. Et ils ont même recompté la monnaie que Brice avait posé sur le comptoir lors du rafaraîchissant achat. Il est évident, pour peu qu'ils soient affublés d'un QI supérieur à leur température anale, qu'ils aient réalisé qu'étudier quelqu'un sous toutes les coutures, avec la facétie bonhomme qu'on a à rire d'un singe épluchant une banane à travers les grilles d'une cage, dénote d'un manque total d'éducation. Ils ont pourtant continué, sans embarras aucun, même en remarquant le nôtre. Peut-être s'attendaient-ils à ce qu'on leur fasse un numéro, ou le beau, dans l'espoir d'obtenir un susucre ?

La deuxième, c'était au café d'un hotel à Yiwu, durant une discussion avec un commettant français de passage en Chine. Nous étions assis à une table, sur laquelle nous avions éparpillé nos dossiers et échantillons. Nous évoquions nos affaires, quand un chinois est arrivé, et s'est assis à notre table avec un naturel déconcertant, comme pour regarder la télé. Nous sommes restés interdits un instant, croyant que, pour qu'il s'installe avec un tel naturel à nos côtés, nous l'avions déjà rencontré. Quand je lui ai demandé ce qu'il voulait, il m'a juste répondu qu'il regardait ce qu'on faisait. Evidemment, je l'ai invité à dégarpir. Pour lui, nous représentions une émission de variétés.

Dans la rue, l'anonymat est impossible. On a l'impression d'être un grand brûlé dont tous les passants zieutent la face tuméfiée de cratêres. Il m'arrive, même les jours où le ciel est couvert, de sortir avec mes lunettes de soleil, pour atténuer la pression des regards. J'en arrive parfois à appréhender de traverser mon quartier, sachant que tel commerçant va se précipiter hors de son magasin dès qu'il va me voir pour me hurler "rallo !" sensé s'entendre "hello !" Il n'est pas rare que dans les restaurants, les convives des tables adjacentes cessent leur conversation pour observer la façon dont je mange. En vivant en Chine, les comportements de autochtones rappellent à quel point on est différent d'eux. Mais dans ces circonstances, à la longue, on se sent anormal.

Ce phénomène n'a pas que des mauvais côtés. Etre étranger dans un environnement chinois a un aspect évènementiel, qui révèle d'amusantes surprises. Les commerçants sont d'autant plus souriants et accueillants... Mais très souvent plus roublards. Et dès lors qu'ils parlent deux mots d'anglais, ils n'hésitent pas à vous en faire profiter avec excitation. Des jeunes gens vous arrêtent dans la rue, sortant leur appareil photo, pour vous demander si vous voulez bien vous faire prendre en photo avec eux. Si vous assistez à un spectacle participatif, et que vous êtes le seul étranger dans la salle, vous pouvez être certain d'être celui qu'on va faire monter sur scène, soit pour être le faire valoir de l'artiste, soit pour chanter une chanson... Sans compter le nombre de fois où de parfaits inconnus m'abordent pour me demander de leur donner des cours d'anglais.

Lors de la fête des lanternes, qui clôt les vacances du nouvel an chinois, je me promenais en considérant l'achat de portes bonheur que la tradition oblige à coller sur les portes. Un photographe m'a sauté dessus, me fusillant de clichés. J'ai arboré mon visage d'honnête homme, tout en brandissant les portes bonheur en question devant l'objectif. Le lendemain, ma trombine pâle faisait la une du quotidien de Suzhou, avec un article concernant les festivités. Dans la même journée, j'ai reçu pléthore de coups de fil d'amis chinois qui trépignaient de m'avoir vu en première page du Suzhou Daily.

A l'occasion de ces vacances de nouvel an, Cai Li et moi-même sommes partis chez ses parents, dans la petite ville de Jiangyan. Lorsque nous sommes repartis au bout de quelques jours, ses parents nous ont accompagné à la gare routière. Alors que nous attendions de monter dans le bus, un jeune homme avec une caméra vidéo professionnelle a commencé à nous tourner autour, puis a offert une cigarette à mon beau-père, ainsi qu'à moi-même. Sur un ton timide, il a entamé la conversation... Mais je savais très bien où il voulait en venir. Après qu'il ait tourné autour du pot, je l'ai autorisé à filmer ma trombine, séquence durant laquelle j'ai psalmodié dans mon chinois approximatif que j'étais super youpi d'avoir passé le nouvel an chinois dans ce merveilleux bled pourri qu'est Jiangyan. Le soir-même, alors que Cai Li et moi-même, rentrés dans nos pénates, vidions nos bagages, son papa lui passera un coup de fil, hilare, pour lui dire que ma tronche blafarde faisait l'ouverture du journal télévisé local... Et qu'il subissait les assauts répétées du téléphone, les voisins voulant partager la gloire télévisuelle de son futur gendre. Etre étranger en Chine, c'est un peu comme d'accéder aux inconvénients du vedettariat.

2- La Chine, station Radio Corbeau de Clochemerle :

On conserve parfois l'image d'une Chine contrôlée, policée, et orwellienne. La population y subirait le jougt d'une angoissante surveillance omniprésente, jamais innocente d'un crime en pensée. Les autorités observeraient dans l'attente rigoureuse d'une déviance qui serait étouffée dans une violence froide, rapide et discrète. En fait, pas du tout. Les chinois sont très fiers de leur système, et ne comprennent pas l'intérêt d'en changer.

Pourtant, la surveillance, elle existe bel et bien, et est plus qu'omniprésente... Mais elle vient du peuple lui-même ! Ici, les gens prennent un malin plaisir à espionner la vie de quartier, n'hésitant pas, avec pourtant l'attitude des gens bien comme il faut, à divulguer, commenter, et déformer les actes des uns et des autres... Le tout dans un désir presqu'orgasmique d'en savoir et d'en dire plus. Pour un étranger, c'est usant, tant l'amplification des idées reçues et des ragots atteint des niveaux complètement absurdes. La médisance malveillante, c'est le sport national.

A mon arrivée en Chine, un ami chinois m'avait répété qu'il fallait que je sois très discret quant à ma vie privée, uniquement du fait du voisinage. Et je reste encore époustouflé, quand je papote brièvement avec un commerçant du quartier, d'apprendre qu'il sait dans quel batîment je vis, et même le numéro de mon appartement. Il est vrai que les étrangers attirent particulièrement l'oeil, et sont les cibles idéales des ragots. Quand je passe un peu de temps dans un magasin, certains vendeurs me tiennent la jambe aussi longtemps que possible pour pouvoir me soutirer un maximum d'informations. Et à leur moue avide, il est décelable de manière flagrante qu'ils le font pour pouvoir alimenter leur médisance jouissive auprès des autres habitants du quartier. Où est l'intérêt, et qu'est-ce que ça peut leur foutre ?

J'ai parfois droit à des questions très personnelles, émanant de parfaits inconnus : la surface de mon appartement, le nombre de pièces, et le coût du loyer. On m'interroge sur mon travail, afin d'évaluer ma richesse, et on en arrive invariablement à la même question, à savoir combien je gagne par mois. Evidemment, je ne réponds pas, car au-delà de l'aspect personnel, je coure le risque de voir des montants farfelus arriver aux oreilles des voisins, qui pour le coup me regarderaient d'un oeil torve dans la cage d'escalier... Car la propagation est totale. La première année, je parlais assez ouvertement. Mais au bout d'un moment, en circulant dans le quartier, je devinais, derrière les sourires, une malhonnêteté à évoquer des mensonges construis sur des réalités. L'avis des gens n'a pas d'importance... Mais quand il s'agit de l'intégralité des gens, et qu'on est tout seul avec sa différence, celà devient tellement pesant qu'on fait tout pour sombrer dans l'anonymat.

Ce comportement, qui stygmatise un manque d'intelligence et une volonté de nuire, est l'aspect de la mentalité chinoise qui m'a le plus déçu depuis mon arrivée. J'idéalisais les chinois comme étant des gens simples, vivant humblement, accueillants, et sans velleité médiocre et médisante. Cette attitude provient essentiellement de gens qui n'ont rien d'autre à faire de la journée que de rester assis derrière un comptoir en attendant le providentiel chaland, et constitue une sorte de hobby. Malgré tout, lorsque j'ai assisté à quelques échanges de ragots entre chinois, j'ai ressenti un mal être extrême à les voir jouir autant de dire des absurdités, alors qu'ils ne réalisent la méchanceté de leurs propos. Ils ressentent un excitation qui me dépasse.

3- Quand on mange avec plaisir, il faut le faire savoir :

En Asie du Sud Est, on considère que si on ne fait pas de bruit en mangeant, c'est que ce n'est pas bon. Manger sans bruit est une forme d'impolitesse. En Occident, c'est l'inverse : quelqu'un qui mange ainsi est un rustre. J'ai beau vivre en Extrême Orient depuis plusieurs années, j'ai un mal fou à le supporter, tant je trouve cela dégoûtant : profiter de l'appêtit des chinois coupe le mien.

Un chinois avait tenté de m'enseigner ces pratiques dégustatives, dans un restaurant offrant un large panel de nouilles chinoises. Avec les baguettes, il saisissait une frange de nouilles, tout en aspirant le plus fortement et bruyamment possible toute la longueur enroulée dans le bol. C'est un peu comme lorsqu'on s'amuse à aspirer un spaghetti sur toute sa longueur... Mais là, il y avait une armada de nouilles. Pour s'aider dans cette puissante aspiration sonore et rougissante qui lui faisait saillir les veines aux tempes, il donnait, en arrière, des petits coups de nuque, dans laquelle j'aurais bien casé une balle. Quand, la bouche encore pleine, il a reposé ses baguettes sur son bol en me disant "allez, à ton tour !"... J'ai du déclarer forfait. Je ne suis pas un homme de challenge.

Je me rends compte que ces bruitages abominables de bouches d'égouts qui se siphonnent dépendent aussi des plats. Ainsi, quand Cai Li mange des gambas, dont elle aspire intensément la chaire sous la coque à grand renfort de décibels, je m'absente derrière la télé, et monte le son du poste pour couvrir ses borborygmes sanitaires, tout en retenant une nausée. Quand elle mange du riz dans son eau de cuisson, le bruit qui en découle est assimilable à celui d'une ventouse qu'on applique dans un évier bouché, avec la puissance sonore d'un aspirateur industriel.

Summum, quand le plat est appréciable, l'étiquette chinoise permet aussi qu'on affiche le menu dans un sourire béat jusqu'à la glotte, faisant bénéficier celui qui est en face d'un gros plan sur des aliments réduits dans une bouillie prédigestive et répandus sur la langue. Un rôt de satisfaction constitue alors la cerise sur la gateau. Quand j'en suis témoin, je me contente de replonger le nez dans mon bol, en tentant de penser à autre chose.

C'est un peu comme nos paysans d'antan, qui ne connaissaient pas encore l'internet, et qui avaient donc encore les oreilles décollées, lorsqu'ils mangeaient de la soupe en posant les lèvres tout au bord de la cuillère pour en aspirer le contenu. Dans ce genre de circonstances, je fais contre mauvaise fortune la gueule, et m'éloigne discrètement pour ne pas avoir à subir les borborygmes sucés et aspirés de ces convives qui profitent de leur repas, et tiennent à ce que ça se sache, quitte à gâcher le mien.

4- Les athlètes du dépassement :

Les chinois sont des resquilleurs complets, avec un sans gêne sensationnel et admirable. Je dois bien l'admettre, c'est aussi un comportement chinois qui m'énerve. Je vous mets en situation :

Vous êtes au guichet d'une banque, effectuant une opération personnelle. Le client suivant se glisse à côté de vous, plutôt que derrière. Il fait passer ses documents sous le verre sécurisé, poussant votre bras qui signe un reçu, réalisant pourtant que vous n'avez pas terminé votre transaction. Il est là, tapant du pied d'impatience, essayant de vous évincer ou de gagner le moindre millimètre de territoire qui le rapprochera. Dans le même temps, la tête d'une autre personne se glisse au-dessus de votre épaule, dans l'espoir d'atteindre plus vite le guichet, ou de lire avec une curiosité infantile la somme d'argent que vous versez sur votre compte. En plus, cette personne vous colle. Mais si vous vous retournez pour signifier à cet individu de conserver une distance sociale, celui qui est à côté de vous en profitera pour vous piquer votre place, que vous ayez terminé ou non. Le guichetier, lui, reste impassible.

Vous vous rendez à la gare pour acheter un billet. Dans la salle des guichets, il n'y a pas de files d'attente silencieuses qui s'alignent militairement, mais un amoncellement pugilesque d'individus serrés en une masse dense, comme une mélée de rugby, passant les uns entre les autres, jouant des coudes et se poussant des épaules tout en vociférant. Durant ce combat titanesque et absurde dans l'agloméré des assujettis, vous arrivez à faufiler un billet de banque sous l'hygiaphone, et demandez un ticket pour votre destination. Dans l'écrasante pression populaire, deux autres personnes font passer leur bras avec leur monnaie dans le même orifice, en hurlant plus fort leur propre destination, sans aucun souci pour la demande que vous aboutissiez. Une fois victorieux, vous vous extirpez de cette masse de gens, qui vous bouscule comme pour rentrer dans une rame de métro sans en laisser sortir quiconque. Là aussi, le guichetier reste imperturbable.

Imaginez vous au comptoir d'un fast food, alors que vous récitez votre commande au caissier. En farfouillant dans votre poche pour extirper de l'argent, vos clés tombent. En moins d'une seconde, vous vous êtes baissé, les avez récupéré, et vous êtes relevé. Avec une cuistrerie véloce, le chinois qui était derrière vous en a profité pour se glisser à votre place et passe déjà sa commande. L'occasion était trop belle. Derrière et autour de lui, les autres clients ont commencé à bloquer le passage. Il ne s'est écoulé qu'une seconde, et personne n'a eu la moindre hésitation à vous enfler votre place. Le caissier, lui, est déjà passé à autre chose.

Comble de la rustrerie, il n'est pas rare non plus de voir rentrer, alors que les files d'attente sont bien organisées, un client qui soupire de voir qu'il y a la queue, et qui se dirige directement au guichet, resquillant une douzaine de personnes qui attendent sagement, sans gêne aucune que celle occasionnée par sa propre impatience.

Ces situations sont quotidiennes, et quand je fais part à Cai Li de mon énervement face à cette goujaterie, elle me répond qu'en Chine, c'est "normal". Je fais souvent un parallèle entre les chinois et les enfants. Le comportement resquilleur en est l'échantillon parfait. Comme des gosses, les chinois trépignent d'impatience, et ils préfèrent s'occasionner une gêne à se bousculer, parfois viollement, plutôt que d'attendre leur tour.

5- Le crachat :

Ce n'est pas une légende : les chinois crachent tout le temps et partout. Il y a encore quelques années, je voyais régulièrement, au pied des bureaux, des crachoirs cuivrés n'ayant rien à envier à ceux d'un vieux western de John Ford. Quand je suis arrivé en Chine, il y a maintenant un peu plus de quatre ans, celà m'avait tout d'abord amusé... Mais je n'ai jamais réussi à souscrire à la pratique. Et pourtant, la logique tient la route : les chinois considèrent que si ils ont des glaires, pour des raisons médicales, il vaut mieux les éjecter plutôt que de les conserver en eux. Pour autant, est-ce nécessaire d'en faire profiter l'environnement ?

Dans la première entreprise pour laquelle j'ai travaillé en Chine, un grand cendrier trônait dans un couloir qui officiait en coin fumeur. Les collègues s'y retrouvaient pour en griller une, tout en discutant de leurs affaires en cours, et je les y rejoignaient avec plaisir. Par contre, je n'écrasais jamais ma cigarette dans le cendrier, et me contentais de l'y lancer... Tant il était rempli de miasmes que les uns et les autres crachaient quantitativement après avoir sucé leur clope. Lorsque, quelques semaines plus tard, nous avons fais face à l'épidémie du SRAS, la direction a été contrainte d'afficher une note au-dessus du cendrier qui, en chinois, ordonnait "de ne cracher que dans les urinoirs et pas dans les cendriers, afin d'éviter la propagation potentielle de germes du SRAS." C'est donc un cercle vicieux : les chinois crachent parce qu'ils sont malades, et sont malades parce qu'ils crachent.

Lorsque je travaillais avec Wang Ke Rong, avant de monter Onesource Agency, et que nous partagions le même bureau au premier étage de son usine, j'étais toujours estomaqué -au propre comme au figuré- d'entendre ses raclements de gorge d'une profondeur spéléologique, qui se soldaient par une bouche pleine, et l'ouverture d'une fenêtre pour qu'il puisse déglutir son surplus glaireux un étage plus bas. Après ce rafut, qui n'avait rien à envier à un vomissement d'ivresse, il se retournait vers moi avec son élégance d'échalat, et m'annonçait noblement un "pardon" d'une dignité absolue, complètement paradoxale et désarçonnante.

En marchant dans la rue, il suffit de regarder ses pieds pour, intuitivement, effectuer un slalom entre les molards. On pourrait croire cette activité typiquement masculine, et pourtant, il s'agit bien d'une des seules pratiques sociales où l'égalité des sexes est totale.

6- D'autres petits travers :

Il y a d'autres petites choses qui m'agacent parfois chez les chinois, mais qui ne m'étonnent plus. J'ai par exemple horreur de croiser un chinois qui reste au pied ou en haut d'un escalator, à planifier sa journée, le nez en l'air, ne réalisant même pas qu'il empêche les gens de passer. C'est un comportement standard, comme si les entrées d'escalators servaient à la méditation. Lorsqu'un chinois m'empêche ainsi un accès, je n'hésite pas, avec un sourire entendu, à le bousculer légèrement pour lui faire comprendre qu'il bloque la circulation.

Les chinois sont de très gros fumeurs, et je me dis souvent que pour un expatrié non-fumeur, ce pays doit être un enfer constant. Ici, on ne se rend pas compte de la gêne que l'on occasionne aux fumeurs passifs. Celà va parfois exceptionnellement loin, et il n'est pas rare de voir un chinois s'allumer une cigarette dans un ascenceur bondé. J'ai beau être fumeur, de manière systématique, je lui demande d'écraser son mégot et d'attendre que nous soyons tous sortis pour qu'il le rallume... Et très souvent, je me fais renvoyer sur les roses, et pas toujours de jolie façon !

Toujours concernant les ascenceurs, au même titre que les chinois sont resquilleurs, leur grand jeu, c'est de pouvoir y rentrer avant que quiconque ne puisse en sortir. C'est bien evidemment la bousculade totale, mais il doit y avoir, chez les locaux, une angoisse à voir la boite quitter le plancher sans eux.

J'aurais bien évidemment une pléthore d'autres habitudes chinoises horripilantes à lister, au même titre que j'en ai tout autant qui me facine et m'impressionne, positivement cette fois. Peut-être celles-ci feront-elles l'objet d'un prochain article.

 

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2 janvier 2007 2 02 /01 /janvier /2007 05:55
Un petit pas pour l'humanité, mais un grand bond en avant pour ma petite personne.
 
Ca y est, je suis le Président Directeur Général, le Président du Conseil d'Administration, l'actionnaire majoritaire (et unique), et euh, la Dame Pipi, de Onesource Agency, la société que je viens d'enregistrer. Pourquoi tout ce cumul de fonctions ? Et bien, c'est une toute petite entreprise, puisque l'intégralité de notre équipe, chez Onesource Agency, ne compte... Qu'un individu... Et pas bien grand avec ça. Dans tous les cas, c'est officiel, et je suis passé à Shanghai le lendemain de Noël pour récupérer tous les beaux papiers qui prouvent que je suis mon propre patron... Et pour l'instant, de personne d'autre.
Tout avait commencé en mai 2005. J'avais décidé de quitter mon précédent employeur chinois, lui expliquant posément que je perdais mon temps, tout en lui faisant gaspiller son argent. J'avais été embauché un an et demi plus tôt par ce fabricant de cadres et de miroirs à Suzhou, après une expérience malheureuse d'association avec trois chinois véreux, dont l'un d'entre eux s'était avéré patron d'un bordel, et dont un autre jouissait de la façade du mariage tout en passant ses soirées de libre avec l'une de ses sept maîtresses. Des jaunes qui en veulent !
 
Mon précédent employeur, quant à lui, m'avait embauché dans son usine pour faire le ménage dans son service commercial, organisé à la méthode chinoise, c'est-à-dire dans un chaos total où rien n'est structuré, même pas les responsabilités et la hierarchie, et où les commerciaux gardent jalousement leurs informations, en partant du principe qu'en faire profiter les autres ne leur bénéficieraient pas. J'y suis allé, je pense avec un maximum d'intelligence, ai gagné presque toutes les batailles, mais ai perdu la guerre. Il faudra que je prenne le temps de rédiger un article que les méthodes de travail en entreprise en Chine, car il y aura tant de quoi amuser que surprendre.
 
Mon ancien patron, qui reste quelqu'un de formidable, et à qui je dois beaucoup, partait du principe qu'en faisant bon copain avec l'équipe, j'aurais suffisament de pouvoir pour organiser les choses. Et là, même si, au niveau personnel, je m'entendais très bien avec tout le monde, je restais professionnellement l'étranger qui n'avait rien compris. Gérer les gens n'a jamais voulu dire faire plaisir à tout le monde. Personnellement, je n'ai jamais connu de patron qui ne soit pas critiqué, que ce soit fondé ou non. Bref, ils n'avaient pas l'intention de changer leurs méthodes, et sans soutien de la part de la direction, au bout d'un an et demi, je me suis dis que je n'avais pas besoin d'eux, et que je pourrais bien développer mon business tout seul.
 
Et c'est ce que j'ai fais !
 
Au tout départ, j'avais proposé à Wang Ke Rong, un petit chinois tout fin mais plein d'ambitions, de s'associer, et de développer une affaire de représentation en Chine pour le compte d'entreprises françaises. Il a bondi sur l'opportunité, sachant qu'il avait déjà une société, dont il m'a offert 30% des parts, et j'ai pu commencer à avancer. J'ai vécu sur mes économies, en avançant le plus vite possible pour que les affaires me permettent de survivre. J'ai déménagé dans un appartement deux fois plus petit... Mais surtout deux fois moins cher. Je n'ai jamais eu un train de vie de nabab, mais j'ai fais quelques coupes sombres dans mon budget, pour assurer la pérenité d'une activité à laquelle je crois.
 
Quelques mois plus tard, me voyant démarrer correctement, Wang Ke Rong décidera de plaquer son travail, pour se consacrer à plein temps au montage d'une usine d'aspirateurs... Dont nous célébrerons l'ouverture officielle le 18 juin dernier. Au-delà du fait que nous soyons restés bons amis, Wang Ke Rong avait un agenda caché. Ce qu'il souhaitait depuis le départ, c'était que je gère l'intégralité de l'activité commerciale de son usine, et que je laisse tomber l'activité de représentation que je développais seul depuis plus d'un an. L'objectif de notre association était de bénéficier d'un soutien mutuel... Qui s'est avéré unilatéral, car seule son usine l'intéressait. De mon côté, faire partie de cette aventure qu'était le démarrage de son entreprise était très excitant, et j'ai fais tout mon possible pour le soutenir au maximum... Au détriment de mon activité de représentation que je n'avais pas pour autant envie d'abandonner.
 
Voyant que nos objectifs variaient du tout au tout, et qu'il était hors de question que je travaille douze heures par jour et sept jours sur sept pour une usine dont je n'étais pas actionnaire, sans avoir l'opportunité de développer une activité que j'avais démarré seul, nous avons préféré nous séparer. C'était il y a quelques mois, fin septembre. Il a fallu que je reparte à zéro, et j'ai donc commencé les démarches pour enregistrer Onesource Agency.
 
Quand j'y pense, quel parcours pour en arriver là ! Même si celà implique de devoir continuer à travailler seul, je crois plus que jamais à ce que je peux apporter aux entreprises françaises en terme de compétitivité. La meilleure preuve que j'en ai reste le fait que je représente intégralement, un an et demi après le démarrage, cinq entreprises françaises, qui me font confiance dans une transparence et une honnêteté totale. Et je n'ai pas l'intention de m'arrêter en si bon chemin !
 
Vous pouvez visiter le site www.onesource-agency.com, qui détaille tous les beaux services que Onesource et moi-même proposons.
 
 
 
 
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28 novembre 2006 2 28 /11 /novembre /2006 10:45

Mes lecteurs les plus assidus font la moue. Je ne les arrose plus d'articles à l'exotisme extrême, récits romanesques de visites et baroudages sur les terres d'Orient. Ben oui, mais depuis un an et demi que je me suis mis à mon compte, j'ai reculé l'échéance des prochaines vacances à une date indéterminée. Pourtant, c'est vrai que moi-même, je rêve de pouvoir repartir à l'aventure, à la découverte de nouvelles cultures, m'imprégner de nouvelles atmosphères et embrasser de nouveaux paysages. Mais voilà, je suis anxieux de nature, reste dans une période de démarrage d'activité, et à l'idée de passer une semaine sans vérifier mes mails professionnels ou ne sans pouvoir recevoir de fax, j'angoisse.

 

Toutefois, aujourd'hui, en faisant un peu de ménage sur mon disque dur, j'ai retrouvé le carnet de voyage que j'avais rédigé à l'occasion de mes toutes dernières vraies vacances. C'était en septembre 2004, au Hainan, il y a un peu plus de deux ans... Et autant vous dire que, même si deux ans sans vacances devient un peu tiré, j'ai retrouvé avec plaisir toutes ces notes concernant ce déplacement. A l'époque, je n'étais pas encore à mon compte, et travaillait en tant que directeur commercial et marketing d'une usine de cadres et de miroirs décoratifs, Bao Cheng Industries, à Suzhou.

 

Je vous livre ce carnet ci-après, que je souhaitais publier sur le site www.ailleursmagazine.com/chroniques.html, qui recense une quinzaine de chroniques que j'avais écris et mis en page la première année de mon expatriation. Et puis le temps à passé... Et nous voilà dèjà deux ans plus tard. Bonne lecture.

 

"J'ai embauché chez Bao Cheng Industries, à Suzhou, le cinq avril de cette année. Les chinois n'ont que trois semaines de congés payés officielles : l'une en janvier ou février, pour fêter le nouvel an lunaire, la seconde en mai, à l'occasion de la fête du travail, et la troisième en octobre, pour célébrer la révolution. Au-delà de ces trois semaines, bon nombre d'entreprises offrent aux employés une petite semaine de vacances, dans le cadre d'un voyage organisé auquel tous les salariés sont conviés gratuitement. Cette année, Bao Cheng nous invitait tous pour quatre jours au Hainan.

 

J'ai horreur du concept de voyage organisé et n'ai jamais souscris à aucun d'entre eux. Le fait de minuter des visites sans pouvoir partir à la découverte d'un pays ou d'une culture, de ne pas pouvoir se frotter à la population et aux problèmes que seul un voyageur solitaire rencontre avec une angoisse mêlée d'excitation, ne me correspond tout simplement pas. Quand je pars à l'aventure, je pars seul.

 

Mais là, je me suis incliné. Non seulement, c'est Bao Cheng qui régalait, et en plus, je ne faisais pas partie d'un voyage organisé pour occidentaux, mais pour chinois. J'ai d'ailleurs croisé bon nombre de locaux stupéfaits de voir un blanc faire partie de l'équipe de vacanciers ocre. Donc, je l'ai pris comme une expérience.

Les chinois ont surnommé le Hainan "le Hawaii chinois". Ile de rêve coincée entre le Vietnam et Macao, et baignant entre le Golfe du Tonkin et la mer de Chine, la province du Hainan se trouve à deux mille kilomètres de Suzhou. 

 

 

 

 1er Septembre.

L'après-midi chez Bao Cheng s'est faite dans l'attente du départ, et tout le monde travaillotait, tout en vérifiant que l'essentiel était là : lotion solaire, lunettes de soleil, et maillot de bain. Vers seize heures, c'est le pugilat. On éteint les ordinateurs, et on se rejoint au pied du bâtiment, où un bus nous attend, pour nous emmener à l'aéroport de Shanghai. C'est là que nous prendrons notre vol pour Haikou, capitale de la province du Hainan.

Le bus mettra presque trois heures pour rejoindre Pu Dong, l'aéroport de Shanghai. Le chauffeur voulait faire des économies, et a, par voie de conséquence, évité l'autoroute. Trois heures à souffrir des nids de poule et du mauvais état des routes, pour économiser quelques centaines de yuans, alors que Shanghai est à moins de cent kilomètres. Typique en Chine. 

 

L'attente à l'aéroport a été un peu plus longue que prévue, car en Chine, il y a une chance sur deux de décoller en retard dès lors qu'il s'agit d'un vol intérieur. La compagnie nationale s'appelle CAAC, et les chinois anglicistes l'ont surnommé "China Airlines Always Canceled", soit "Lignes chinoises toujours annulées". Nous avons finalement décollé, et sommes arrivés deux heures et demie plus tard à Haikou, ce qui se traduit par "l'entrée de la mer".

Il est vingt trois heures, et nous sortons de l'aéroport. La température extérieure est plus élevée que dans le Jiangsu, la province où se trouve Suzhou, et, malgré la petite brise marine qui vient nous rafraîchir, nos vêtements nous collent immédiatement à la peau. L'humidité de l'air est telle que respirer devient un acte difficile. Nous rejoignons notre bus, et partons pour notre premier hôtel, en périphérie de la capitale provinciale. Moi et mon collègue Sun Ming Shan nous asseyons au premier rang du bus. Au-dessus du rétroviseur scintille un petit compteur digital affichant la température extérieure, et le degré d'humidité. Dehors, il fait 32°C, et nous atteignons 72% d'humidité dans l'air. Paradoxalement, l'air à Suzhou me parait plus difficilement respirable. Cela vient sans nul doute de l'industrialisation outrancière qui champignonne d'usines sur toute la côte Est du pays, et dont la région de Shanghai, le Jiangsu, et le Zhejiang, forment l'épicentre de ce tremblement économique. De fait, la pollution n'est pas la même que sur cette île paradisiaque. Et puis, il y a l'air marin. 

 

Nous arrivons crevés, et apprécierons la quiétude d'un restaurant de fruits de mer, grande spécialité de l'île. La nourriture n'était pas particulièrement savoureuse, et pourtant, à six personnes, nous nous en sommes tirés pour sept cent yuans, ce qui est de l'escroquerie pure et simple. Mais que serait un touriste si il ne se faisait pas arnaquer ? La bière locale est au rendez-vous, légèrement moins âpre que la Qingdao nationale. Après ce repas sommaire, à l'abri sous les palmeraies, nous rentrons à l'hôtel, et nous en écrasons vers une heure du matin... Sachant que nous devons tous nous retrouver au restaurant de l'hôtel pour le petit déjeuner à sept heures.

2 septembre.

Je rejoins le reste de l'équipe au restaurant, toujours autant médusé par l'effroyable appétit des chinois. Les collègues repassent au buffet plusieurs fois pour garnir leurs assiettes de pléthores de raviolis et brioches cuits à la vapeur, de nouilles sautées, d'oeufs, et de fruits... Le tout arrosé de Tou Jiang, une boisson laiteuse, brûlante et sucrée, à base de soja. Quand, en chinois, je m'adresse à un des serveurs pour lui demander si il peut m'apporter une tasse de café, je vois bien, à la stupeur dubitative que sa moue arbore, qu'il n'a pas la moindre idée de l'endroit où il pourrait me dégotter ça. Je suis bon pour me contenter d'un oeuf dur.

A l'extérieur, la chaleur est bien plus forte que la veille au soir, mais l'air paraît moins lourd. Moi et Sun Ming Shan reprenons nos places à l'avant du bus, laissant le reste des commerciaux de Bao Cheng (commerciaux, donc indisciplinés par essence) prendre les sièges du fond où se plaisent à trôner les chahuteurs.

 

 

 

Dès lors que nous quittons l'hôtel, moi comme mes collègues sommes impressionnés par l'abondante luxuriance insulaire. Rien à voir avec le Jiangsu, où la soi-disant campagne n'est qu'une succession d'industries plus ou moins modernes, d'usines en construction, de lotissements à l'architecture futuriste, carton pâte, colorée et contestable. La campagne du Jiangsu symptomatise à merveille le miracle économique : nature laissée à l'abandon, polluée, et outrancièrement industrialisée. Les vastes espaces sauvages du Hainan s'étendent des deux côtés de la route qui les lassèrent. Tout n'est que flore prairie éclatante, moutonnante, touffue et exotique. Et pourtant y subsiste un sentiment de sérénité qui confine au bien-être. La campagne montagneuse, aux collines recouvertes de coton vert, avec les bois de cocotiers et les palmiers, ou flottent quelques rizières plates, c'est l'image que j'ai du Vietnam, qui n'est que de l'autre côté du Golfe du Tonkin. C'est magnifique, naturel, touffu, et pourtant, il y réside quelque chose de résolument dépouillé, de sobre. L'Asie n'est que paradoxe.

 

Les visites commencent. Nous arrivons à Boao Aquapolis, un parc à thèmes pour touristes. Le Hainan n'est que très peu industrialisé, et, du fait de son climat estival éternel, de ses plages de sable fin, de la pureté de la mer, et de la végétation, c'est l'endroit de villégiature par excellence. Y construire des parcs à thèmes va donc de soi. Nous ne resterons qu'assez peu de temps à Boao Aquapolis. C'est un premier contact avec la mer. Nous prenons un bateau à moteur, à bord duquel tout passager à obligation de porter un gilet de sauvetage, afin de rejoindre l'autre rive, banc de sable de l'autre côté duquel la Mer de Chine nous attend, nous réservant son plus beau soleil pour l'occasion. Je suis plutôt bon nageur, et porter cette bouée encombrante m'angoisse plus qu'autre chose, par peur de ne pouvoir me mouvoir librement. En Chine, la sécurité est parfois délirante, et nonsensique. Mais là, ce n'est pas le cas. L'apprentissage de la natation n'est qu'optionnel à l'école, et bien des établissements scolaires ne proposent même pas cette option. Par voie de conséquence, somme toute assez peu de chinois savent nager, et, de toute l'équipe de Bao Cheng, je trouve que même les meilleurs nageurs restent exceptionnellement patauds dans l'eau.

Nous profitons une petite demie heure du sac et du ressac, nous rechargeons à la fraîcheur des embruns, et repartons après avoir fais pataugé nos pieds dans l'eau salée avec excitation et bonheur. La chaleur est à son comble, et nous repartons à bord du même bateau. Sur le trajet du retour, il y a quantité d'immanquables magasins de souvenirs où nous nous faisons gentiment harceler pour acheter des chemises fleuries, des chapeaux de paille tressée, des bijoux plus ou moins factices, des coquillages ou des fruits aux formes et aux coloris étonnants, dont j'ignorais jusqu'à l'existence. 

Nous reprenons le bus, continuant notre traversée des terres préservées du rouleau compresseur urbanisant de l'Humanité, et arrivons à Wanning, pour déjeuner. La traduction littérale de Wanning serait "dix mille sérénités". C'est une petite ville engoncée dans les terres. Le trafic y est moins étouffant qu'à Suzhou, où c'est la bousculade constante de tous types de véhicules, dans tous les sens. Toutefois, malgré la quantité bien moindre de véhicules, la circulation y paraît bien plus infernale. Moins d'infrastructures, des routes en piètre état, un goudron recouvert de terre roussie par la chaleur et le passage, des triporteurs de forme étonnantes en guise de taxi, des motos roulants en tous sens, et une connaissance des règles élémentaires de conduite à mourir de rire amusent et angoissent. La simplicité des locaux se voit au travers de leur accoutrement et des véhicules à l'archaïsme tiers-mondiste qui les transporte. Evidemment, nous venons d'une des villes les plus riches de Chine. A la sortie du restaurant, des porteuses de fruits au chapeau traditionnel et conique nous proposent d'acheter leur exotique victuaille. Les chinois ne résistent pas... Dès lors qu'il s'agit de nourriture, et quelques uns de mes collègues se précipitent pour sélectionner les fruits les plus attirants, et négocier les prix âprement.

 

 Nous repartons, traversant une zone de montagnes courtes, recouvertes de végétation. L'image du Vietnam, mélangée à celle des montagnes luxuriante de l'archipel hongkongaise me vient à l'esprit. De ci delà, nous croisons quelques bâtiments désolés au sein de ce monde perdu. La nature a gardé le pouvoir.

En début d'après midi, nous arrivons dans un village de la minorité Li. Même si quatre vingt pour cent de la population est Han, la Chine comprend une trentaine d'ethnies différentes. Les Li ne sont plus très nombreux, et se préservent du temps et de l'influence continentale en continuant à vivre, bien à l'abri de l'Humanité, en parfaite autonomie, au sein de petits villages... Aménagés toutefois pour les touristes. De l'extérieur, la battisse qui garde l'entrée du village, avec ses parois en bois, et le forme particulière de son toit, rappellent le style thaïlandais. Nous rentrons. Sur un ton amusé, le guide nous signale que si des filles de la communauté Li nous proposent quelque chose, il vaut mieux refuser, car cela signifie qu'elles souhaitent se marier! Dès lors que nous avons passé l'enceinte, une dizaine de jeunes filles nous saute dessus, prenant chaque homme par le bras. L'une d'entre elles se précipite vers moi sans la moindre interrogation, mais a un pas de recul immédiat dès lors qu'elle réalise que je suis blanc. Tous les autres hommes montent l'escalier de bois du bâtiment, une jeune Li au bras.

 

Les hommes sont revêtus d'un simulacre de costume traditionnel se limitant à une veste et un calot de couleur vive. Ils s'assoient autour d'une table de banquet, hilares, avec une des jeunes créatures posée à leur côté, ou sur les genoux. Etonnement souriantes de la situation, les petites amies des collègues restent en retrait de cette jouissance masculine à se faire entraîner par une charmante créature, et prennent les photos. A table, Sun Ming Shan est en liesse, à côté de sa demoiselle. Un à un, les hommes doivent se lever, et s'incliner face à un autel, en joignant les mains. Puis, tout comme dans la tradition continentale, les deux "époux" se font face, pour, de la même façon, les mains à nouveau jointes, s'incliner face à l'un l'autre. Pour parachever le cérémonial, chaque convive se devra de chanter une chanson, avant de porter son épouse pour lui faire attraper un objet traditionnel accroché au plafond. Une femme, organisatrice, reste en retrait.

 

Et puis, nous, les célibataires, sommes sommés d'attendre à l'extérieur, pendant que les couples nouvellement formés se retrouvent à l'étage supérieur. Un peu plus tard, Sun Ming Shan me racontera que c'est en fait là, dans la quiétude solitaire des retrouvailles faussement conjugales, que ces demoiselles imposeront un pourboire de cent cinquante yuans pour les noces de pacotille. Les hommes en ressortiront toutefois hilares, reprenant bien difficilement leurs esprits.

 

La visite continue alors. Nous passons devant une dresseuse de serpent, rangeant immédiatement la bestiole à mon passage, me laissant qu'une brève seconde pour prendre un cliché du reptile. Sur le chemin, deux Li m'arrêtent, travestissant d'office le laowai de vêtements traditionnels, me prenant toutes deux par l'oreille... Pour me faire payer quinze yuans leur présence sur une photo ! C'est les vacances, elles sont jeunes et jolies, et je me laisse aller. La luxuriance du village est idyllique. C'est l'image même de la végétation d'une île désertée d'organisation humaine. Nous sommes entourés d'une haute et dense forêt de bambous, traversons la végétation, les maisons traditionnelles, bâties de végétation et de ressources locales, et visitons deux vieilles tisserandes Li. Les deux portent le tatouage traditionnel sur leur visage tanné par les ans. Etonnant à voir, cette marque tatouée en forme de toile, sur le menton, descendant dans le cou et jusque derrière les oreilles.

 

Nous finirons dans une salle de spectacle, entourée de boutiques, et où nous assisterons à un spectacle de danse traditionnelle. Et puis, semble-t-il danse locale aussi, on invite les convives que nous sommes à sauter, au rythme de musique locale, entre des mats de bambous tenus par les artistes agenouillés. Les enfants des collègues de l'équipe ne s'en lasseront pas. Alors que moi, si. Je me retrouve avec Sun Ming Shan, et nous dissertons sur la richesse de la pluralité ethnique en Chine, qui semble être un parfait exemple d'entente. Pour rappel, au-delà de toutes ces minorités, il y a en Chine une trentaine de provinces, des dizaines de dialectes différents dans chacune d'entre elles, et le pays fait dix huit fois la surface de la France. Les seuls problèmes rencontrés sont avec la minorité vivant dans le Xinjiang, à la frontière afghane, province musulmane, dont le langage s'écrit comme l'arabe, et où les locaux ressemblent à des magrébins à s'y méprendre. Nous reprenons la route en direction de Sanya, la deuxième grande ville du Hainan. C'est parait-il là que se trouvent les plus belles plages de Chine. En centre-ville, nous rejoignons le restaurant où nous irons dîner... Pour faire un crochet par la plage, histoire de tremper à nouveau les pieds dans l'eau avant de repasser à table.

 

Le repas s'avèrera délicieux, et le bonheur de se retrouver à dîner dans un restaurant à travers les vitres duquel on peut admirer la mer disparaissant à l'horizon d'un soleil couchant libère les inhibitions. Les bouteilles de bière commencent à défiler, et les têtes à tourner. A la mode chinoise, nous trinquons les uns avec les autres, vidant nos verres cul sec avec la vélocité de machines agricoles, et, en l'espace d'une demi-heure, les faces sont rougies par l'alcool, et nous nous retrouvons entre commerciaux, pris de vertiges hilarants. Tradition oblige, je passe à la table de Robert Lu, mon P.-D.G., pour trinquer avec lui. Il me demande alors si je me sens d'attaque pour boire cul sec un verre de bière avec chacune des personnes attablées.

Ils étaient sept.

En Chine, on ne refuse pas ce genre de challenge, lorsque c'est le patron qui le demande. En étant étranger, j'aurais été excusé, mais voilà, mon respect foncièrement borné de la hiérarchie dans une dictature communiste a eu le dessus... J'ai bu mes sept verres cul sec. Je suis retourné m'asseoir, ai regardé Sun Ming Shan avec ce qu'il me restait de raison vacillante après mes sept verres de bières, et lui ai dis que si il avait un truc sensé à me dire, c'était maintenant où jamais, car il ne me restait qu'entre trois et cinq minutes de sobriété pour toute la soirée. Il m'a regardé avec son petit sourire à la cool, et m'a répondu "non, c'est bon. Sois ivre.". Et puis, il a rajouté, en se servant un verre "t'inquiètes, de toutes façons, je te rejoins au plus vite", et, son verre à la main, il est parti trinquer avec le patron. Nous sommes arrivés au nouvel hôtel, et ça a été le passage obligé aux toilettes pour tout le monde ! Une bonne douche, dans nos chambres de grande classe... Et nous nous sommes tous rejoints à la piscine, pour une partie de basket entre collègues, qui a duré jusqu'à vingt et une heure. Les collègues remontent. J'espérais le Hainan comme étant la version asiatique d'Ibiza... Mais c'était sans compter sans le comportement résolument couche tôt des chinois. Etre en vacances, oui. Mais faire la fête, euh, pourquoi ? On a bien mangé, on s'est soule en une demie heure, et il est neuf heures du soir. C'est bon, on peut aller se coucher. Pour moi, c'est intolérable.

 

3 septembre.

Je me retrouve au restaurant de l'hôtel pour le petit déjeuner. Pas de café. Je me limite à nouveau à un oeuf dur. Nous avons repris notre bus, et sommes allés sur une autre île, qui est un parc pour touristes ayant envie de profiter du bonheur de la plage. Il pleuvait, mais la température nous a permis largement de profiter de nos maillots de bain. Au programme, nous avons commencé par de la plongée sous-marine. Moi, j'ai fais le fiérot, mais, euh, malgré l'excitation, quand je me suis retrouvé au bord du ponton, avec les bouteilles qui pèsent sacrément lourd, à devoir m?avaler le détendeur sans pouvoir respirer par le nez, j'ai légèrement angoissé. Et finalement, dès lors que je me suis retrouvé sous l'eau, ça a été le bonheur complet.

 

Après une demi-heure de face à face avec les calamars, à deviser les fonds, à se frayer un passage entre les rochers, nous sommes remontés à la surface tous ensemble, exaltés ! Après cela, nous sommes allés retirer nos combinaisons... Et sommes allés faire du scooter des mers. Ces engins sont de vraies petites bombes. Je ne sais pas à quelle vitesse ça va... Mais ça fonce. Et puis, dès lors qu'il y a une vague, on la grimpe en tremplin, restant un instant suspendu en l'air, avec l'impression de haut-le-coeur, et aussi la trouille de quitter le véhicule et de se retrouver à la flotte, pour se prendre un choc en s'écrasant sur l'eau un peu plus loin. Après un quart d?heure, un large sourire sur mon visage, j'ai accosté sur la plage... Avec les membres tremblotants (du fait de la vitesse, et des chocs constants, il faut s'accrocher à mort sur ces petits monstres, et tous les muscles restent constamment contractés), et des vertiges, mais hilare. Ce qui reste super, c'est qu'à la moitié du trajet, j'ai remarqué qu'on se prenait un peu plus d'embruns qu'à l'accoutumée. En fait, il y avait une pluie battante. Foncer à pleine vitesse, en mer, sous la pluie, sur une de ces machines infernales, fait ressentir une épanouissante impression de liberté. 

 

 

 

 

Sous la pluie toujours, mais avec le bien-être au coeur, nous avons renfilé nos gilets de sauvetage, et sommes repartis pour l'île du Hainan. Je n'ai pas vraiment compris pourquoi, mais c'est un militaire qui pilotait le hors bord qui nous a amené et ramené. Il subsiste à ce sujet une impression bizarre au Hainan. Il y a cette atmosphère paradisiaque qui donne l'impression qu'on y trouvera des preuves archéologiques du péché originel, et qui assure que rien ne s'y déroule, et il y a pourtant très souvent des avions de chasse qui passent, des camions de l'armée sur les routes, et des militaires qui se baladent un peu partout. Au large, il n'est pas rare de voir un bateau de guerre.

 

Il faut dire que le Hainan est un emplacement stratégique. Venant d'Asie du Sud, c'est le dernier rempart avant d'accéder à la Chine continentale. Il y a quelques années, un avion espion américain avait violé l'espace aérien chinois. C'était entre le Hainan et le continent. L'aviation chinoise avait appréhendé l'appareil, et l'avait forcé à se poser au Hainan. Sans se soucier des menaces de l'Oncle Sam, les chinois avaient renvoyé les six membres d'équipage à Hamburgerland, en prenant le temps de démonter l'avion pièce par pièce pour bien l'étudier, le remballer en pièces détachées dans des caisses, le renvoyant en même temps qu'une facture à l'ambassade américaine à Pékin, incluant le coût de transport et de démontage de l'engin ! Les chinois sont patriotes, avec un sans-gêne et une répartie parfois sans nulle autre pareille. Nous avons fais une pause en ressortant. Il y avait un petit marché aux fruits à la sortie, et nous avons attendu là, sous la pluie.

Après cela, toujours sous la pluie nous avons fais une excursion à Nan Shan, ou "montagne du sud". Il s'agit d'un temple bouddhiste. Sun Ming Shan m'explique que nous déjeunerons à la cafétéria du temple. Les bouddhistes sont végétariens, et ont une longévité bien supérieure, du fait en partie de cette alimentation. Malgré le fait qu'après une matinée prolongée aussi sportive, nous étions tenté par un bon morceau de viande, nous n'avons pas été déçu, et le repas était un régal.

 

Au temple, tout le monde y est allé de sa petite prière devant les divinités du panthéon bouddhiste, en brûlant de l'encens. Moi, j'ai profité des lieux, merveilleux, et se jetant dans la mer. Au coeur de la baie de Nan Shan, une gigantesque statue de Bouddha est en construction. Sun Ming Shan me disait que la statue avait coûté huit millions de yuans, et qu'elle était entièrement faite d'acier. Et puis, il y a cette succession de temples, bordés de montagnes moutonnantes, dont les sommets sont gommés par la brume. Nous sommes restés un bout de temps à Nan Shan, tant c'est grand.

 

Nous avons repris notre bus, et avons rejoins la pointe sud du Hainan. C'est une plage qu'on appelle Hai Tian Ya, ce qui veut dire "la fin du ciel et de la Terre". Pendant des siècles, les chinois croyaient que c'était là que le monde prenait fin. Encore actuellement, un dessin de l'endroit est repris sur les billets de deux yuans. Avant de reprendre le bus, un peu fourbu de la journée, mais l'esprit toujours autant en fête, nous sommes allés boire un thé glacé. Dans la buvette de la plage, les filles ne me paraissaient pas être des Hans, et elles portaient un voile sur la tête. J'ai demandé à Sun Ming Shan, qui était à mes côtés, et il leur a demandé de quelle nationalité elles étaient. Ce sont des filles issues de la minorité Hue, une des seules nationalités musulmanes en Chine.

Nous retournerons au même restaurant que la veille, mais sans bière cette fois. Nous rentrerons à hôtel, et malgré la densité et l'intensité des dépenses physiques de la journée, nous nous rejoindrons dans la piscine pour une nouvelle partie de basket aquatique. Nous rentrerons vers minuit, fourbus... Et nous endormirons très rapidement.

 

4 septembre.

Je ferme mon sac, car nous dormirons dans un autre hôtel ce soir. Sun Ming Shan file au restaurant pour le petit déjeuner. Je lui dis de m'excuser auprès des autres, mais moi, je vais aller au bar de hôtel, et me taper un petit café... Car je n'en peux plus, je suis en manque. Au bar de hôtel, ils ont une vraie machine à expresso... Et ce matin, j'ai bu l'un des meilleurs cafés depuis mon arrivée en Chine. Nous montons dans le bus. Je me sens crevé, mais les vacances se déroulent de façon exceptionnelle. Je suis bien. Nous partons pour une autre montagne. La pluie est battante sur la campagne du Hainan. En arrivant au pied de la montagne, le guide nous propose d'attendre au bar que le déluge se calme. Moi, je demanderais à Sun Ming Shan où nous sommes, car le programme du séjour a été passé en mandarin, et je ne fais que suivre avec feignantise. Sun Ming Shan me racontera alors que nous sommes sur le site, en bord de mer, où s'est déroulé une magnifique légende chinoise... Qu'il ne manquera pas de me raconter.

 

Dans les temps révolus de la Chine antique et légendaire, un homme de la minorité Li était adulé par tous. Il avait les caractéristiques physiques de l'athlète et du bellâtre. Il était le meilleur chasseur, et les filles étaient folles de lui... Mais lui ne réussissait pas à tomber amoureux de l'une d'entre elles. Un jour qu'il chassait, il tomba sur une biche magnifique, et alors qu'il s'apprêtait à décocher une flèche sur sa proie, croisant le regard de l'animal somptueux de grâce, il ne pût tirer. Intrigué, tant par l'impression que la biche avait provoqué en lui, et aussi avec une volonté vengeresse d'en faire sa proie ultime, il chassa l'animal sur tout le territoire du Hainan, pendant des mois et des mois. A chaque fois qu'il retrouvait la biche, il n'arrivait pas à se résoudre à la tuer. Et puis, finalement, après l'éreintante traque, il accula la biche sur la plage. Un vent magique venu de l'Empire Céleste entoura alors l'animal. Le chasseur ne comprit pas, pensant que c'était une protection empêchant toute flèche tirée d'atteindre la biche. Et puis, le vent se tortilla autour de l'animal pour la transformer... En la plus magnifique jeune fille Li qu'il ait vu. Ils tombèrent bien évidemment follement amoureux de l'un l'autre.

Nous avons alors gravi la montagne, et, au sommet, se jetant dans la mer, nous attendait une statue de l'archer, de la jeune fille, et de la biche. Même sur les rampes, des coeurs étaient taillés dans la pierre. En redescendant les marches, je lis, gravé à la peinture rouge dans le rock, un mot chinois que je ne sais pas lire. Sun Ming Shan me traduit. Ca veut dire Amour.

Nous rejoindrons finalement le dernier hôtel du séjour, car au solde de deux dernières visites le lendemain, nous repartirons pour Shanghai, puis Suzhou.

La dernière soirée au Hainan a été la plus fabuleuse. Nous jouissions de la piscine. J'ai passé la soirée avec Sun Ming Shan. Avec lui, dès le début, on a senti une complicité implicite et immédiate. Du fait du boulot, nous nous sommes éloignés, sommes allés au clash, et ce n'est pas fini. Mais au niveau privé, c'est l'accord total, et la compréhension mutuelle constante, avec une intimité forte en amitié. Je ne le connais que depuis cinq mois, et j'ai l'impression que cela fait bien plus longtemps.

Je suis passé dans ma chambre pour me reposer, et Sun Ming Shan m’envoie un SMS. Il me dit qu'en sortant de ma chambre pour le rejoindre à la piscine, il fallait que je fasse très attention, car pléthore de filles me cherchent ! Ah bon. Ca n'a pas loupé. Deux minutes plus tard, on frappe à la porte de ma chambre. Une fille belle comme un poster central de magazine de charme est là, et me propose des massages pour cinquante yuans. Je la remercie, et referme la porte. J'ai glissé le panneau "ne pas déranger" à la poignée. Dix minutes plus tard, je sors de la chambre, et il y avait cinq minettes qui m'attendaient dans le couloir, comme on attend sa proie. Je n'ai même pas répondu à leur speech, et ai filé à la piscine. Le directeur général de Bao Cheng m’apprendra plus tard qu'il a du intervenir auprès d'un de nos collègues, car il a invité une de ces filles à rentrer. Après le massage à cinquante yuans, elle lui a fais payer deux cent yuans pour la passe, et lui a finalement dis, au solde de leurs ébats, que le pourboire était de mille huit cent yuans. Quatre mecs attendaient à la porte pour s'assurer que le client escroqué payerait. Il est intervenu, a négocié... Et ça n'a finalement coûté que mille yuans ! Le plus étonnant, c'est que ces filles portaient des uniformes, et comme elles circulaient librement dans hôtel, tout le monde a cru qu'elles faisaient partie du personnel.

Nous sommes restés plusieurs heures, au bord de la piscine, à disserter de la vie, de l'amour, et du travail. Et puis, Sun Ming Shan m'a raconté son enfance. Il est issu de Yangzhou, un bled du Jiangsu... En pleine campagne. La Chine dans laquelle il a vécu enfant est sans comparaison avec celle dans laquelle nous évoluons. Et, tout a fait librement, il m'a raconté qu'il avait appris à nager à la rivière, dans son bled. Ses parents n'avaient pas de moyens, vivaient humblement, et, l'été, l'un des grands plaisirs familial, le soir, était, si les enfants avaient bien aidé pendant la journée à la maison, de les emmener à la rivière pour qu'ils puissent aller nager tous ensemble. Sun Ming Shan me racontera ces moments simples, dénués d'impératifs matériels, emplis de simplicité, car il était dans un endroit fabuleux, à partager des instants chauds et uniques avec sa famille. Tout ceci a bien changé, et j'ai senti une pointe de nostalgie. Il me racontait en souriant que, la première fois qu'il était allé à la piscine, il avait trouvé l'eau très froide par rapport à la rivière, et avec un mauvais goût. Mais voilà, en rigolant de ma bêtise à lui faire la remarque, il rajoutera que maintenant, il ne pouvait plus se baigner dans la rivière, près de chez ses parents, car du fait de l'industrialisation, la pollution du cours d'eau est totale.

Sun Ming Shan m'a ensuite posé pléthore de questions sur la France, et c'est dans ces moments-là, à la dubitativité des individus auxquels, malgré leur intelligence, il faut expliquer le fonctionnement des choses en profondeur pour qu'ils les comprennent, que l'on se rend un peu plus compte de la différence culturelle. Soirée unique de partage dans tous les cas. Nous avons fini par aller siroter une bière au bar de hôtel, et sommes rentrés nous coucher une heure plus tard.

Cinq minutes après m'être couché, le téléphone sonne. Par habitude, je savais ce que c'était. J'ai envoyé bouler la fille en question, en lui disant que ce n'était pas la peine, et que je souhaitais qu'on me laisse dormir.

5 septembre.

Je voulais me réveiller un peu plus tôt pour aller piquer une tête avant de partir. Peine perdue. J'ai à peine entendu le réveil. Je me suis préparé, et même schéma que la veille, je suis allé prendre un café au bar... Mais celui-ci était imbuvable.

Aujourd'hui, il y aura deux visites, et ensuite, nous repartons pour Haikou, où notre vol décolle vers dix sept heures. Nous devrions arriver à Suzhou vers onze heures ou minuit. La première visite était un parc de plantes exotiques. Là aussi, on se serait cru dans le jardin d’Eden. Le fruit national au Hainan s'appelle, en mandarin, le Bolomi. J'ai vu à quoi ça ressemblait, en ai goûté pléthore de fois... Mais n'ai aucune idée de ce que c'est en français ! Et là encore, tout le monde s'est extasié devant les arbres à Bolomi. A la sortie de ce parc, il y avait une sorte de salon de dégustation, où nous avons pu déguster différents thés fabriqués localement, ainsi que le café du Hainan... Qui est délicieux.

Le dernière visite, c'est un autre parc à thèmes, sur les différentes cultures asiatiques : la Thaïlande, le Vietnam, la Malaisie, etc... Très sincèrement, intérêt purement touristique, et aucunement culturel. Mes collègues ont passé le temps de la visite... A acheter des fruits ! Sun Ming Shan m'a invité à boire un coup, à savoir du lait de noix de coco, directement dans la noix juste ouverte à la machette, avec une paille de glissée.

Et puis, après être repassé à Wanning pour déjeuner, nous avons replié nos bagages vers l'aéroport de Haikou. Une de mes collègues viendra me voir, la bouche en coeur, me demandant si je peux l'aider à porter ses bagages à l'aéroport... Et me refilera un carton de dix huit kilos, rempli uniquement de fruits exotiques. Il était très amusant de voir les chinois clore leurs bagages et cartons à la sortie du bus. Tous avaient une quantité pléthorique de cartons et de sacs, et, le plus amusant, c'est que la quasi-totalité d'entre eux n'avait ramené que des fruits ! La culture de la nourriture en Chine reste impressionnante. En Chine, on ne mange pas en gourmet, on mange en gourmand. Rien d'étonnant à ce qu'il y ait toujours une grande quantité de plats dès lors que l'on va au restaurant, et que l'on pique à satiété dans chacun d'entre eux. Rien d'étonnant non plus à ce que, même lorsque l'on est débordé de travail, le moment inhérent au déjeuner ou au dîner n'est jamais ni sauté, ni repoussé. Les chinois mangent tout simplement tout le temps. Chez Bao Cheng, au-delà du fait que le repas du midi offert par la société est une calamité, il y a un petit garde-manger où on stocke les pots de nouilles instantanées et les gâteaux. Et toute la journée, c'est le défilé.

Nous sommes montés dans l'avion, en retard, comme à l'aller, en ayant nécessité de changer de porte d'embarquement, et nous envolerons en direction de Shanghai. Du ciel, le Hainan nous réservera quelques derniers instants magnifiques... Et nous arriverons deux heures et demie plus tard, fourbus par l'intensité des vacances... Mais qui se sont avérées exotiques au-delà de nos espérances.

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12 octobre 2006 4 12 /10 /octobre /2006 08:25
Cai Li et moi-même nous sommes fiancés ce premier octobre, à Jiangyan, chez ses parents, dans la plus pure tradition chinoise. Pour l'occasion, mes parents s'étaient déplacés de France. Nous avons partagé un moment familial assez riche en émotion, et parfois assez amusant.
 
 
1- La date :
 
La sélection de la date du premier octobre s'est opérée de manière définitive il y a quelques semaines, en accord avec la superstition numérique chinoise. Ici, il y a des chiffres qui portent bonheur, et d'autre pas. Je m'y attendais, ayant été témoin depuis mon arrivée de nombreuses situations idoines.
 
Ainsi, un ami chinois m'avait aidé, quelques jours après mon arrivée, à m'acheter un téléphone portable. Il a passé de longues minutes à deviser fermement toute une liste de numéros que la préposée de China Mobile lui avait tendu. Je lui avais dis que je souhaitais un numéro facile à retenir. Pour lui, ce n'était pas aussi simple. Il était préférable, pour éviter de m'attirer le mauvais oeil, d'obtenir un numéro avec certains chiffres. Il ne s'agit pas d'un cas isolé. J'entends parfois, à la télé, qu'un chinois parvenu a fait l'acquisition d'une numéro de portable ne comportant que des chiffres qu'il admet porter chance... Pour un montant somptuaire.
 
Quand mon associé Wang Ke Rong avait organisé la cérémonie d'ouverture de son usine, il avait jonglé avec les nécessités de mise en place, en fonction du calendrier superstitieux. Son souhait, dans un premier temps, était d'e fêter cette célébration le huit juin, le huit étant d'excellent augure dans la mentalité chinoise... Mais il m'en avait informé le quatre, ce qui laissait peu de temps pour faire les choses sereinement. Finalement, il avait repoussé au dix-huit juin, date comportant toujours un huit.
 
La démarche est parfois ahurissante. Wang Ke Rong a décidé qu'il se marrierait en 2008, sans même avoir trouvé l'âme soeur. La superstition n'est pas le seul élément qui l'a poussé à prendre cette décision très à l'avance. L'autre paramètre, plus essentiel encore, reste le consensus social chinois qui veut impérativement que l'on se marrie dès qu'on à l'âge. L'amour en Chine n'est pas une fin en soi, le mariage étant un objectif bien suffisant. Moi-même, lorsque j'étais célibataire, à trente ans, je générais la suspicion de mon entourage chinois. Je ne rentrais pas dans la norme, et était plus ou moins considéré comme un marginal.
 
Quand nous apportons, Cai Li et moi, des petits cadeaux à ses parents, il faut systématiquement qu'on les achète en double, car un et un forment une complémentarité : deux lignes qui vont dans le même sens. En Chine, toute action se doit d'être connotée, voire protocolaire, au risque d'être mal vu. Après quelques années sur le territoire, on connait ce protocole, et la difficulté pour un occidental n'est pas tant de s'en souvenir que de s'y soumettre, pour des raisons qui paraissent parfois aussi stupides qu'un gri-gri.
 
Le premier octobre, après étude approfondie de Cai Li et de ses parents, s'annoncait sous les meilleurs auspices pour la consécration de notre couple. Et pour faire cette vérification, il a suffit d'utiliser un téléphone portable, car ici, ils disposent d'un calendrier grégorien, mais aussi d'un calendrier traditionnel chinois !
 
C'est ma famille qui aurait du organiser les fiançailles, et c'est chez elle que le repas aurait du se dérouler. Pour d'évidentes raisons liées à la distance, mes beaux parents en ont géré l'intendance, dans la tradition chinoise. Le fait que la célébration se déroule chez eux plutôt que chez mes parents est le seul écart aux coutumes.
 
2- L'importance de la famille :
 
La vie rurale en Chine a quelque chose de l'existence autarcique que menaient nos paysans il y a des décennies : l'univers se limite à leur hameau, et tous s'y connaissent depuis des générations. L'environnement y est immuable. Ils y sont nés, ne voient pas de raison d'aller vivre ailleurs, et c'est là qu'ils y feront grandir leurs enfants. Pour eux, le monde, c'est là. Ainsi, dans le petit hameau entouré de rizières et bordé par un affluent du Yangtsé où Cai Li est née, la quasi totalité de sa famille continue d'y vivre : ses grands parents, ses parents, ses oncles et tantes, et la plupart de ses cousins. Alors que nous marchions aux abords des rizières, Cai Li désignait du doigt un hameau à l'horizon, m'expliquant que certains membres de sa famille y vivaient préalablement, mais qu'ils avaient finalement déménagé pour s'installer dans le même hameau.
 
La Chine est un pays très dur, où il faut se battre constamment. De fait, la première entité sociale reste la famille, et pas l'individu. Une famille peut faire bloc, et, en vivant tous ensemble, ses membres sont à l'abri. Rien d'étonnant à ce que, célibataire, j'étais devisé avec une certaine marginalité : j'étais seul et, en terme réducteur, je n'étais pas grand chose. Depuis que je vis avec Cai Li, l'image que les chinois me renvoient de moi-même n'est plus la même. Maintenant, je suis reconnu. Pour un occidental, l'intégration en Chine est une vue de l'esprit : on arrive regorgeant de bons sentiments, avec la volonté de faire partie de l'environnement comme n'importe quel local... Et on en ressort, au solde de la première période d'expatriation, déstructuré par la différence culturelle. Etre tolérant en France est aisé. A l'étranger, c'est beaucoup plus difficile, car celà induit de désapprendre les valeurs fondatrices de sa propre essence. En étant entouré de chinois qui acceptent votre différence, l'adaptation devient envisageable... Même si le choc des références reste déstabilisant.
 
Cette importance de la famille est tant une source de bonheur, que de difficultés. Le bonheur provient, d'un point de vue purement personnel, de l'accomplissement d'une vie de couple en Chine (un vieux rêve). Mais sa source est aussi dans la recréation d'un univers familial, avec des beaux parents qui, dans leur comportement, souhaitent se substituer à ma famille. Toute cette chaleur est agréable et relaxante, lorsqu'on est seul dans un pays si différent. Malgré ma différence, j'ai le sentiment de compter pour une famille, et d'être aimé pour ce que je suis. Partir quelques jours chez mes beaux parents est un plaisir : au-delà du fait que j'y suis à l'abri de tout combat, leur bulle champêtre me permet de prendre du recul par rapport au travail. Les portables y grésillent mal, et il n'y a pas d'accès à internet. Même avec la meilleure volonté à travailler, l'environnement me contraint à me détendre. L'angoisse professionnelle s'y oublie.
 
Les difficultés sont liées à la différence culturelle. Je vis en Chine, mais je ne serais jamais chinois. Mes beaux parents acceptent ma particularité, ne vont jamais à l'affrontement, partant du principe que lorsqu'on est en famille, l'objectif est de partager des moments de bonheur. Mais comparativement à l'Occident, la famille en Chine a une présence qui est parfois étouffante. En épousant la fille, on intègre une famille. Il n'y a aucune méchanceté dans leur démarche, bien au contraire... Mais il n'en reste pas moins vrai que parfois, avec les meilleures intentions du monde, on ne fait pas vraiment plaisir aux gens. J'ai quelques exemples qui auront de quoi faire dresser les cheveux d'occidentaux :
 
La gestion de l'argent est assez paradoxale. Quand les parents de Cai Li viennent à Suzhou, c'est à moi de payer toute forme d'intendance. Par contre, ils me répétent que je dois économiser, et qu'ils se contenteront de peu. Ma première réflexion a été de me dire que si ils veulent vraiment que j'économise, ils n'ont qu'à régler leurs frais eux-mêmes. Dans ce même principe, et allant dans le sens de la chaleur familiale partagée, ils préfèrent venir loger chez nous. Ils sont très gentils, mais pour éviter toute gêne, il me paraitrait plus judicieux qu'ils dorment à l'hotel. Mais si je les y invite, ils ressentiront une forme de rejet, ce qui n'est pourtant pas l'objectif.
 
En Chine, les familles vivent agglomérées. Un ami chinois a divorcé à trente ans. Se trouvant de nouveau célibataire, il est retourné vivre chez ses parents. Ici, quelqu'un qui a la démarche inverse suscite l'incompréhension. En France, dans les mêmes circonstances, on se poserait des questions quant à la capacité d'indépendance de l'individu. Même si l'exode rural des jeunes s'est intensément propagé depuis que l'accès aux études est plébiscité par le gouvernement chinois, les enfants restent chez leurs parents jusqu'au mariage.
 
Quand mes beaux parents viennent loger chez nous, ils nettoient tout l'appartement de fond en comble, se disant que nous sommes jeunes, que nous travaillons dur, et qu'ils doivent nous soutenir à leur échelle. J'avoue n'apprécier que modérément qu'on s'occupe de mon logement. Encore une fois, celà part d'une bonne intention... Mais en tant qu'occidental, celà reste chez moi, et j'y gère l'intendance ménagère comme celà me chante.
 
Vivre en Chine, lorsqu'on souhaite y faire bonne figure, et être apprécié par les gens, nécessite de dédramatiser énormément de situations, et aussi de mettre de l'eau dans son vin. Et dans mon cas, je m'estime très heureux : j'ai une fiancée délicieuse, et ses parents sont d'une gentillesse infinie, avec une considération à mon égard qui n'est pas celle qu'on a vis-à-vis d'un gendre (qui plus est étranger), mais celle qu'on a vis-à-vis d'un fils.
 
3 - La préparation :
 
Les fiançailles se fêtent à l'occasion d'un diner. Comme Cai Li est issue de la campagne, le diner que j'avais imaginé intime s'est plutôt apparenté à un festin villageois. Dans mon esprit, nous devions nous retrouver à six : notre couple, mes parents et les siens. En définitif, avec toute la fourmilière familiale qui vit dans son hameau, nous étions une quarantaine. Mes parents et moi-même étions les trois seules faces blanches.
 
A l'identique des pratiques occidentales, j'avais acquis une bague pour Cai Li, et celle-ci m'avait acheté une montre, que nous nous sommes remis, à l'écart des convives, vers la fin du dîner. Pour les invités, nous avions acheté des petits balotins de chocolat ainsi que des cartouches de cigarettes. Je ne sais pas si cette pratique est chinoise ou d'inspiration occidentale. Toujours est-il qu'il s'agissait-là d'un impératif.
 
L'après-midi précédant le dîner a été riche en organisation : les femmes (la mère, la grand-mère, et les tantes de Cai Li) ont préparé le repas, et les hommes ont géré le reste. Dans la cour de la maison familiale, on s'activait pour éplucher les légumes, assaisonner les viandes, ou rapatrier suffisament de tabourets auprès des familles voisines pour que tous puissent s'asseoir à table. Les curieux n'ont pas hésité à s'inviter aux préparatifs, pour en savoir plus sur la relation de Cai Li avec un étranger, avec un sans-gêne admirable. Tout celà s'est fait avec bonne humeur, entrain, et dynamisme.
 
Une semaine avant, Cai Li était venue me voir les pieds en dedans, me demandant si je pouvais financer de nouveaux vêtements qu'elle ne dévoilerait qu'aux fiançailles. Et le jour des fiançailles, j'ai découvert ce qu'elle avait acheté, avec une stupéfaction amusée. Depuis que nous sommes ensemble, je lui dis qu'à son âge, elle pourrait s'habiller plus sexy. Quand j'ai ouvert la porte de notre chambre, le jour de nos fiançailles, j'ai cru qu'elle s'était déguisée en prostituée. Elle portait des bas résilles noirs à énormes mailles, exceptionnellement vulgaires, et une jupe moulante si courte qu'on aurait pu difficilement y tailler un mouchoir. Par dessus celà, elle portait un imperméable rouge flamboyant qui, une fois refermé, ne découvrait au bas que les résilles et les talons aiguilles. Je lui ai bien évidemment dis que je la trouvais très jolie, car ce type d'accoutrement, même si il est immédiatement connoté pour un occidental... N'est pas ressenti avec vulgarité par un chinois. D'ailleurs, tous les chinois présents l'ont complimentée, la trouvant bien mignonne. Evidemment, quand j'avais évoqué le fait de s'habiller un peu plus sexy, ce n'est pas du tout ce que j'avais à l'esprit. Je pouffais intérieurement en ayant le sentiment de me promener au bras d'une pute, alors qu'elle avait l'impression de s'être habillée en élégante jeune femme citadine. Mes beaux parents ont trouvé leur fille magnifique, alors que si ma fille s'était habillée de la sorte, je lui aurais ordonné de remonter dans sa chambre immédiatement. Là encore, pour un même concept, les références à travers le monde sont complètement différentes. Il n'y a pas de vérité universelle. La vérité est culturelle, voire individuelle. Il faut l'accepter, sans pour autant s'y soumettre, au risque de perdre sa propre essence.
 
4 - Le dîner :
 
Il y avait au total quatre tables de dix personnes. Nous étions, mes parents, mes beaux parents, Cai Li et moi-même, atablés avec des amis à elle, au premier étage, à l'abri de l'atmosphère festive des trois tables du rez-de-chaussée. Je compare très souvent les chinois à des enfants. Comme les enfants, ils sont exceptionnellement bruyants. Pour un occidental, cette nuisance sonore constitue une forme d'agression. Et quand ils célébrent un évènement tel que des fiançailles, ils trinquent et vident leurs verres cul sec, sous des rires assourdissants, en hurlant des plaisanteries. Car en Chine, il y a un protocole à table, que j'expérimente de manière quasi quotidienne, et que je connais par coeur... Même si j'ai du mal à m'y faire.
 
Les chinois ne boivent pas, ils se soûlent. Les repas de noces ou de fiançailles durent une à deux heures seulement, et pourtant, il n'est pas rare que des invités en ressortent proches du coma éthylique. Ils ne tiennent pas mal l'alcool; mais ils boivent comme des trous. Mon ami Sun Ming Shan m'avait expliqué qu'en arrivant à une table, les gens sont un peu nerveux, et plutôt que de tenter de communiquer avec naturel, ils s'astreignent à un protocole qui les détendra. Ainsi, on remplit les verres de bière ou de beijui (alcool de riz dont certaines marques dépassent allègrement les cinquante degrés), et plutôt que de déguster comme on le souhaite, on lève son verre et on trinque tour à tour avec les autres invités au repas. Boire sans trinquer avec quelqu'un est un manque de politesse (dans l'esprit chinois, on ne pense qu'à soi). Et très rapidement, histoire de passer aux choses sérieuses, quand on trinque avec un individu, on lui hurle ganbei, ce qui signifie "cul sec", précisant ainsi à l'autre que l'on va vider entièrement son verre, et que celui-ci, en signe de respect, doit faire de même. J'apprécie de boire un bon vin avec un bon repas, mais je n'apprécie pas du tout que quelqu'un me force à vider mon verre d'un coup, sans même en avoir savouré le contenu. C'est le jeu du qui-perd-gagne : si on ne sort pas au minimum éméché, on est un rabat-joie.
 
Les chinois fument socialement. Ainsi, nous avions disposé quatre paquets de cigarettes de différentes marques sur chaque table, pour que les individus se servent autant qu'ils le souhaitent. Et, au même titre que l'on doit trinquer avec quelqu'un d'autre si on lève le coude, il est nécessaire d'offrir une cigarette à tous les autres hommes de la table, si on souhaite s'en griller une. Là, par contre, malgré mon occidentalité, j'apprécie cette démarche sympathique et chaleureuse. La contrainte, c'est qu'il faut toujours avoir suffisament de cigarette pour soi et les autres. Mais j'aime bien l'idée, avant d'allumer sa cigarette, d'en offrir quelques unes de son paquet. En Chine, seul un cuistre aurait la démarche de fumer sa cigarette sans même en proposer.
 
Plus spécifiquement lié aux fiançailles, tant pour montrer que nous étions heureux d'inviter, que pour remercier les convives d'être venus, il m'a fallu, accompagné de Cai Li, faire la tournée des tables, et offrir une cigarette à chacun. J'ai d'ailleurs commis un impair : croyant que je devais offrir uniquement une cigarette à chaque homme, j'ai ignoré les femmes... Qui ont du se poser des questions quant à ma considération à leur égard. Dieu merci, Cai Li m'a repris. Dans le même temps, elle offrait à chacun un balotin rempli de douceurs. Et à chaque table, nous devions trinquer avec tous les convives, sans avoir à vider notre verre cul sec.
 
Chaque table recensait pas moins de dix huit plats, en accord avec les croyances superstitieuses et numériques (pour exemple, je dinais hier soir en ville avec mes beaux parents, et après avoir passé commande, ils ont rajouté un plat supplémentaire, car commander sept plats était de mauvaise augure). Evidemment, à la fin du festin, il en restait la moitié sur les tables, car en Chine, si les plats sont finis, on considère alors que les invités n'avaient pas     assez à manger !
 
Nous avons dans tous les cas passé un agréable moment, tant pour l'accomplissement de notre relation, que dans la chaleur familiale... Avec une forte dose d'exotisme agricole chinois, exceptionnellement enrichissant pour les amateurs d'Extrême Orient.
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18 septembre 2006 1 18 /09 /septembre /2006 17:09
Hier soir, j'ai découvert un endroit vraiment sympa à Suzhou, et où les tracas s'oublient au vestaire. Désolé pour les amateurs d'exotisme, dont l'imaginaire aura déjà sublimé une pagode millénaire, un temple shaolin, ou un quartier tiers-mondiste propres à alimenter leurs rêves fabuleux... Car il s'agit d'un pub irlandais.
 
Le Shamrock, ce pub en centre-ville, m'a oxygené. Les chinois sont terribles pour celà : leur vie conjugalement installée, ils ne mettent plus le nez dehors, restant à l'abri dans leurs pantoufles pointées vers la télé. Cai Li en est l'échantillon parfait, alors que moi, je commençais à me taper la tête contre les murs de ne plus sortir. Elle sait que j'aime l'atmosphère des bars, et pour palier à celà, elle me répétait ces dernières semaines que je pouvais saturer le frigo de bière fraîche, mettre dans la platine le CD qui me plaisait, histoire de créer l'ambiance. Mais voilà, ce n'est pas du tout la même chose. Encore un an à ce rythme autarcique et ménager, et je marchais à quatre pattes, devenu trop sauvage pour communiquer. J'aime bien, en toute décontraction, l'atmosphère cosmopolite des bistrots pour étrangers en Chine.
 
Nous avons vissé nos coudes au comptoir, commandant deux Kilkenny pression. La bière occidentale pression n'étant pas légion en Chine, je me suis d'autant plus délecté. Et du même coup, Cai Li a découvert l'existence de la bière brune, sans grande conviction quant à l'intérêt de sa saveur.
 
Dans Shamrock, il y a rock, et ce qui m'a aussi fait aimer l'endroit, c'est qu'on peut y écouter de la bonne musique. Car paradoxalement, même si la Chine est un pays très sonore, la musique détient peu de charge émotionnelle. Au Shamrock, on écoute à loisir, et sans que la musique ne crève les tympas, de la pop, du rock, du blues, ou de la musique celtique. La plupart de ces types de musique restent désespérément absents des bacs. Pour Cai Li, c'était nouveau, et pourtant, le fond musical lui a paru neutre. Et c'est moi qui ai du lui expliquer que ce qu'elle entendait, c'était du reggae.
 
1°/ Le podium américain :
 
La musique étrangère est présente... Mais dans un éventail très limité. Alors que les magasins de CD et de DVD font partie de l'enchainement constant des petits commerces de quartier, même les plus pauvres, et que le nombre de films offerts, dans des échoppes précaires repeintes à la chaux, vaut bien dix fois le choix d'une FNAC française, on ne trouve que peu de musique internationale.
 
Il reste une poignée d'artistes indéboulonnables, dont la plupart sont inconnus ou démodés en Occident, à tel point qu'on ne se souvient de leur existence qu'en jetant un coup d'oeil dans les bacs.
 
Le chanteur américain qui conserve une quote éternelle, c'est Michael Bolton. Dans l'esprit chinois, il est tout aussi connu aux Etats Unis que peuvent l'être Michael Jackson ou Madonna. A mon arrivée, je ne le connaissais même pas. J'avais créé une stupeur dubitative chez les autochtones en leur avouant n'en avoir jamais entendu parler. Plutôt que de tenter de comprendre qu'il n'avait rencontré le succés qu'en Chine, les locaux préfèraient me lancer un sourire, se raillant de mon manque de culture musicale occidentale. Car Michael Bolton, il est mondialement connu en Chine.
 
Les Carpenters aussi ne cessent de faire des fans, même au sein de la jeune génération, et malgré leur ringardise avérée. Le troisième larron dont on entend les mélodies partout, c'est le saxophoniste Kenny G, qui n'a pas sorti un album depuis au moins une décennie. Il est un peu connu en Amérique, pour ainsi dire inconnu en Europe, mais obtient la totalité des suffrages en Chine. Et pourtant, Kenny G est au saxophone ce que Christian Morin est à la clarinette : un pitre.
 
Quotidiennement, j'entends dans les supermarchés, les cafés, ou les magasins de mode, un fond sonore emprunté à ces artistes, avec la terrible sensation que dans l'inconscient collectif chinois, la musique étrangère se résume à ces mélopées antédiluviennes. Un occidental ne mettrait pas ça dans sa discothèque. Mais ici, répéter les cha-la-la-la mièvres des Carpenters, ça fait mode. Même sur les bornes d'écoute présentant les disques occidentaux, fleurissent toujours leurs jacquettes, sous des titres aussi prometteurs que "le meilleur de la musique étrangère".
 
2°/ Des variétés avariées :
 
Parce que ça fait mode aussi, Richard Clayderman, avec ses minivagues blondes, et ses smokings pastels et pailletés, reste un classique. Personnellement, je croyais qu'il avait décidé de mourir, par respect pour l'ouïe du genre humain, et par honte pour un simulacre d'oeuvres volées, et réinterprétées à la mode bontempi.
 
Les chinois ne font pas la différence. Ecouter la cinquième de Beethoven dirigée par un chef d'orchestre de renom, ou bien à la piètre façon d'un jingle Playstation comme l'osait Clayderman, c'est la même chose, puisqu'il s'agit de la même mélodie. Karajan, Clayderman, même combat. Le plus étonnant, c'est que les jaquettes de Richard Clayderman (celles de ses disques, pas ses vestes lui permettant de jogger la nuit) continuent de le présenter en beau trentain blondinet, sorte de Rahan en smoking de clown, souriant de tout son clavier, bon qu'à faire frémir les mémères. Imaginez votre stupeur, si dans un endroit sobre et élégant, vous aviez les oreilles agacées par les massacres de ce pathétique trublion oublié.
 
Les français ne sont pas en reste, car une chanteuse reste très présente dans les bacs et les endroits branchés. Il s'agit d'Hélène Rolles, celle qui, il y a dix ans, avait remporté un succés mercantile, à défaut d'artistique, auprès des moins de cinq ans. Et en Chine, elle est aussi très cool. Quand j'explique aux chinois que ses mélodies sont uniquement destinées aux mouflets mous du bulbe, qu'elle même n'a jamais été une véritable artiste, et encore moins un prix Nobel de physique moléculaire, ils me rétorquent dans un soupire que l'air est bien joli, et que sa voix est charmante et douce. Malgré la pauvreté intellectuelle et artistique de son répertoire, la petite Hélène est devenue une ambassadrice de la fraîcheur et de la culture française en Chine. Tout autre artiste français est tout simplement inconnu.
 
3°/ Où "l'easy listening" prend tout son sens :
 
Les chinois ont une perception de la musique complètement différente. Les anglo-saxons appellent celà du "easy listening" (ce que nous appellons des variétés). La traduction littérale serait du "facile à écouter"... En Chine, la musique n'a pas besoin d'émouvoir, de sublimer des sensations, mais seulement de distraire et détendre.
 
Les autres artistes occidentaux que l'on retrouve dans les bacs restent à cette image de soupe à la mode, ou suranée : les Eagles (pas une semaine sans que je n'entende Hotal California !), ABBA, Bee Gees, voire Britney Spears ou Shania Twain. Toutefois, certains autres musiciens réussissent à percer : Norah Jones, ou Dire Straits. Dans les magasins les mieux approvisionnés, on peut en dégotter un peu plus : les Beatles, Rolling Stones, Sting, et même les Pink Floyd ou Nirvana. Mais ils ne suscitent l'intérêt que de la diaspora occidentale.
 
Pour comprendre, il suffit d'écouter la pop chinoise (ce qu'à Hong Kong, on appelle avec chauvinisme régional, la "canton pop"). Il y a pléthore d'artistes locaux : chanteurs, chanteuses, ou boys et girls bands, qui sont au palmarès des meilleures ventes. J'ai moi-même acheté quelques CD. C'est globalement plus mièvre que la Star Academy, et fait montre d'un talent tout aussi conceptuel. La mélodie est simpliste, voire grotesque, et il n'est pas rare qu'un artiste chante faux. Les chinois ne s'en rendent pas compte. Pour être un chanteur à la mode, il suffit d'être jeune et beau. Tout le reste est formaté, packagé, marketé, et vendu à des millions d'exemplaires.
 
On vend un rêve strassé de parc d'attraction... Mais en aucun cas de l'émotion. Il y a quelques années, j'avais entendu Jean-Louis Aubert s'exprimer à la radio concernant la Star Academy. Il avait répondu au journaliste que la Star Academy lui avait fait découvrir une option formidable : "on pouvait élever les artistes en batterie". La formule m'avait fait pouffé. Et Aubert, pour s'expliquer, reprenait l'exemple de Brassens, qui ne savait pas danser en gigotant du dérrière, et qui se retrouvait avec sa guitare et son coeur comme seuls outils... Avec la reconnaissance qu'on connaît. En Chine, cette forme de musique populaire n'existe pas, car l'essence de la musique est dans sa facilité d'écoute, et pas dans la sensibilité.
 
Il ya toutefois quelques artistes de talent, tels que Jay Chou ou Wang Fei qui, de par la qualité de leur musique, obtiennent la place qu'ils méritent sur le podium. Cai Li et moi sommes allés au concert de Jay Chou l'an dernier, et, alors que j'appréciais déjà ses CD, j'ai été particulièrement impressionné par sa prestation. Alors qu'il reste une icône de la pop music, il n'a pas hésité, à la fin du concert, à nous faire jouir d'une interprétation à quatre mains, au piano, d'une mazurka de Chopin... Qui m'a boulversé par son naturel d'exécution, et par sa qualité, miraculeuse.
 
4°/ Supergirl subversif :
 
Pendant de l'explosion économique, l'exploitation commerciale atteint son paroxysme : tous ces jeunots fades à la mode se retrouvent placardés sur les bus, vantant les mérites des sodas importés, ou à la télévision, dans des spots publicitaires poussant à la consommation d'articles inutiles, mais cools. Nike, Pepsi, et d'autres, s'en sont emparés. Même en ne s'y intéressant pas, on n'échappe à la présence d'aucune de ces étoiles qui, une fois l'effet de mode passé, s'éteindront. En attendant, le filon continue d'être exploité.
 
Nous avions aussi une Star Academy. Celà s'appellait Supergirl, et présentait de jolies gamines, dépourvue de talent, et la tête tout aussi pleine d'eau qu'une pastèque. Le jeu fleuve qui se poursuivait sur plusieurs mois, a connu un succès sans précédent, et la gagnante l'an passé continue d'être frénétiquement adulée. Pourtant, le concept du jeu ne rentrait pas dans le cadre fixé par le parti, qui voyait l'engouement hystérique pour le programme d'un très mauvais oeil.
 
Le principe était similaire à la Star Academy, et chaque mois, les téléspectateurs votaient par SMS pour éliminer les prétendants au hit-parade qu'ils trouvaient dénués d'intérêt. Face à la participation en grand nombre à ces "élections" (on a recensé quatre cent millions de téléspectateurs, et le nombre de votants pour la finale s'est élevé à presque sept millions !) avec un téléphone portable comme isoloir, le gouvernement chinois a tout simplement interdit le jeu... Trouvant ce comportement démocratique, fatalement subversif ! Le plus étonnant réside dans le fait que les chinois n'ont pas réagi. Ce sont des moutons, prêts à s'entretuer pour tirer une grosse part du gateau économique, mais qui se contrefichent de leurs libertés individuelles.
 
5°/ L'omniprésence musicale au quotidien :
 
Le monopole de la musique bon marché reste total. A l'entrée des magasins trônent toujours une paire d'enceintes hurlant les mêmes chansons populaires, et dans les cafés occidentaux (qui ne sont que l'occidentalisation des maisons de thé), on a toujours droit au même fond répétitif. A la radio, dans les voitures, à la télé, ce sont toujours les mêmes choses que l'on entend.
 
C'en est d'ailleurs paradoxal, car il y a de très nombreux musiciens en Chine populaire, et pourtant, on entend toujours la même chose ! Je me surprends parfois à pouvoir répéter en phonétique les paroles d'une chanson martelée, en suivant l'air, et sans même en connaître ni le sens, ni même le chanteur. Il faut dire qu'il y a somme toute peu de chansons populaires, et que chaque chanteur les reprend dans une interprétation personnelle. Et là aussi, que ce soit l'original chanté il y a trente ans, ou bien une reprise faite par un chanteur à la mode, les chinois se l'approprient de la même façon. Il n'est pas non plus rare d'entendre une nouvelle interprétation, par un nouveau musicien, d'une chanson créée par un autre, seulement un an auparavant.
 
Les chinois s'y retrouvent ainsi, et on les voit fredonner un peu partout les paroles d'une chanson connue par tous, sans aucune gêne, alors qu'en France, on ne serait même pas capables de retrouver de tête le refrain des "copains d'abord". Ce qui est amusant, et reste très frais, c'est de réaliser l'intérêt que les chinois ont pour le chant. Il n'est pas rare, dans un restaurant, d'entendre toutes les serveuses chantonner en même temps, dans une douceur peu harmonieuse, les paroles d'un clip vidéo diffusé à la télé. Et lorsqu'on achète un lecteur DVD ou un ampli, tous sont munis de deux prises pour les micros, alors qu'ils en sont exempts pour les casques.
 
7°/ Le karaoke, une institution :
 
Je n'ai pas connu un seul chinois qui n'aime pas chanter. Il y a en Chine plus de karaokes que de boites de nuit ou de bars. On s'y retrouve, entre amis, pour quelques heures, voire un après-midi, dans un salon privatif et confortable, en buvant du thé ou des rafraîchissements, et on s'y fait vibrer les cordes vocales.
 
Pour les établissements accédant à une certaine renommée, il est parfois nécessaire de réserver à l'avance. Les karaokes ont toujours la même configuration. Des deux côtés d'un long couloir s'alignent des petits salons insonorisés où, face à un long canapé et une table basse, siège tout un système hifi vidéo permettant, via un petit pupitre informatique, de faire défiler des clips musicaux sous-titrés.
 
La décoration est parfois surprenante, et souvent thématique. Il y a deux karaokes qui fonctionnent très bien à Suzhou. Le premier se nomme le Space Station, et dès lors que l'on passe l'entrée, toute l'atmosphère est recréée pour avoir l'étonnante sensation de se retrouver dans un vaisseau de la Guerre des Etoiles... Avec un certain succés. Le souci du détail va des uniformes de serveuses, parfait reflet aluminium de ce qu'on porterait dans un film de science fiction, jusqu'aux cendriers, en forme de vaisseaux galactiques. Le deuxième karaoke nous emmène dans l'environnement aventureux de l'Egypte archéologique, et là aussi, avec une certaine réussite dans la décoration.
 
Mais là encore, c'est toujours la même chose. Toutes les chansons semblent être connues de tous, et le répertoire parait limité. Les clips sont à mourir de rire, montrant, en prétexte visuel, des mannequins posant avec un manque de naturel qui les rend grotesques. Et les chinois, pour une raison qui m'échappe, dès lors qu'ils se mettent à beugler dans leur micro, ne peuvent s'empêcher d'y rajouter un maximum d'écho.
 
8°/ La musique traditionnelle en filigrane :
 
La Chine reste attachée à sa culture plurimillénaire, et entendre de la musique traditionnelle dans les rues, ou chez les gens, est quelque chose de très courant. J'aime particulièrement cette nécessité, qui cohabite sans difficulté avec une modernité en développement. Cai Li, qui n'a que vingt six ans, n'hésite pas à acheter de la musique traditionnelle chinoise, qu'elle met en fond par goût, et quand elle souhaite se détendre, ou qu'elle se met à peindre.
 
Dans beaucoup d'endroits de la ville, et pas obligatoirement les plus touristiques, on voit souvent de petits orchestres traditionnels se produire. Dans les maisons de thé, endroits dévolus à cent pour cent à une clientèle locale, il n'est pas rare que des duos viennent se produire, en costume traditionnel, avec des instruments centenaires. Dans ces instants-là, assis à une table de bois cirée, baigné dans une fumée de cigarette voluptueuse, un thé à la main, on a le sentiment véritable de faire un bond dans le temps, et d'être complètement intégré à l'univers extrême oriental. Jouissif, relaxant, et foncièrement dépaysant. Peut-être après tout est-elle là, la véritable musique chinoise. Et dans tous les cas, celle-ci, regorgeant d'émotion, obtient mes suffrages extatiques.
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7 septembre 2006 4 07 /09 /septembre /2006 06:25
Hier, alors que j'étais dans le car me ramenant à Suzhou après un déplacement pour affaires, Cai Li me passe un coup de fil, faiblarde de voix, m'indiquant de la rejoindre sur son lieu de travail. Ce n'est pas sans appréhension que je lui ai demandé pourquoi, sachant que normalement, on se retrouve directement chez nous.
 
Elle me raconte alors qu'elle a fait une chute de son vélo électrique, suite à un léger accrochage avec une voiture, et qu'une entorse l'empêche de marcher. Connaissant mon tempérament anxieux, elle me rassurera, me précisant que ce n'est rien de grave, même si, entre le constat policier, et le passage à l'hopital, elle y a passé l'après-midi... Et que la douleur à son pied gauche reste intense.
 
Arrivé à Suzhou, je m'engouffre dans le premier taxi, pour la retrouver dix minutes plus tard, le visage fatigué, et la jambe allongée sur une chaise, du fait de sa souffrance à poser le pied par terre. Aussitôt, Cai Li me raconte comment tout celà s'est déroulé.
 
En début d'après-midi, alors qu'elle chevauchait son destrier à piles sur un passage piéton, une voiture est arrivée, et, freinant au dernier moment, frappa le vélo électrique de la petite en fin de course, la faisant choir de sa monture sur le bitume. Le vélo, sur sa partie la plus lourde, à savoir la conséquente batterie, lui tombera sur le pied.
 
 
 
  
1 - Des techniques de conduite apocalyptiques.
 
Les chinois donnent l'impression de ne conduire qu'en état d'ébriété avancée, roulant au klaxon (à tel point que je les soupçonne de pouvoir s'accomoder d'une voiture sans volant, mais de ne pouvoir en conduire une sans klaxon), zigzagant d'une allée à l'autre, sans aucun respect pour le marquage, doublant tant à droite qu'à gauche, forçant le passage partout et tout le temps, pilant au dernier moment sans rétrograder, roulant parfois même en éteignant le moteur, en roues libres, et avec une normalité complètement déconcertante. Ils doublent même si il n'y a aucune visibilité, se disant qu'il y aura toujours moyen de passer, ou de faire se décaler le véhicule arrivant en face. Il n'est pas non plus rare de croiser des voitures en contresens sur l'autoroute, ou des véhicules faisant marche arrière sur plusieurs centaines de mètres, sous prétexte qu'ils ont raté la sortie. Et outre ces voitures, je ne ferais même pas état du nombre de gens, à bicyclette, que je vois remonter les zones d'arrêt d'urgence des mêmes autoroutes, parfois en sens inverse, dans une nonchalance de promeneurs champêtres.
 
N'amoindrissez pas mes propos.
Il n'y a aucune emphase de ma part.
La conduite en Chine, il faut tout simplement la vivre pour la croire.
 
Quand je travaillais en centre ville, je voyais un accident quotidiennement, entre voitures, bus, passants, cyclomoteurs ou pousse-pousses. Dès que je prends le car pour aller dans une autre ville, j'y pense avec effroi. Dès que je traverse la route, je fais virevolter mon regard dans tous les sens, par peur de rentrer en collision avec un cycliste ou une voiture. Au printemps dernier, je m'étais rendu dans la province adjacente, pour y visiter une usine. Durant les quatre heures que dure le trajet en car, j'ai dénombré neuf accidents. Depuis un peu plus de dix ans que je travaille avec la Chine, j'ai connu deux personnes décédées suite à des accidents de la route. En Chine, le risque est tout simplement total.
 
Lors de mon tout premier voyage, il y a quelques années, j'avais été surpris d'entendre une cacophonie de klaxons dans les rues, et, en bon français n'ayant à l'époque que peu baroudé, j'en avais immédiatement déduit qu'il devait s'agir d'un mariage ! Le seul accouplement fêté était celui de deux voitures, et l'accompagnement des klaxons ne manifestait que le désir des autres conducteurs de voir la route dégagée.
 
Celà me fait toujours un peu sourire, quand mes proches, soucieux de ma bonne santé en Extrême Orient, me demandent de faire bien attention à l'hygiène, à la nourriture, au SRAS, ou à la grippe aviaire... Car très sincèrement, je coure mille fois plus de risques en traversant la rue.
 
 
 
  2 - La hantise de prendre le volant.
 
Moi-même, qui vit en Chine depuis plus de trois ans, jusqu'à très récemment, je n'avais que rarement pris le volant, toujours dans des endroits désertés, ou de nuit, pour ramener des connaissances, qui, d'avoir trop bu, étaient sur le point de perdre la leur.
 
Ce n'est qu'il y a quelques semaines, que je me suis décidé à me mettre à conduire... Et je le fais toujours avec une certaine appréhension, uniquement du fait de cette fourmilière désordonnée, où les réactions des véhicules sont imprévisibles, et où les belles avenues de Suzhou prennent des allures de pistes de stock car. A chaque croisement, il semble que les conducteurs ont perdu le contrôle de leur véhicule, souhaitent s'imposer comme les maîtres du bitume, où accueillent une femme sur le point d'accoucher sur leur banquette arrière.
 
D'une part, je créé chez les chinois une surprise amusée lorsqu'ils me voient au volant (en trois ans, j'ai du croiser deux fois des expatriés qui conduisaient); et d'autre part, je génère l'incompréhension désabusée de la plupart des étrangers, qui ne comprennent pas comment j'accomplis une telle prouesse. Lorsqu'ils apprennent que je conduis, ils me retournent un petit sourire en coin, me demandant si je suis "courageux, inconscient, ou suicidaire". D'autres ne répondent rien, et accompagnent leur sourire d'un regard dans lequel je peux lire "A qui veut-il faire croire celà ? Aucun étranger n'est capable de conduire ici". On ne peut rien anticiper de la part des véhicules, les rétroviseurs servent à la décoration, et une voiture est un outil permettant d'asseoir son pouvoir, comme un flingue dans le poing jouissif d'un militaire. Le risque induit pour la vie d'autrui ne semble pas être un paramètre.
 
3 - La voiture, partenaire de l'ego.
 
L'outil principal lorsqu'on conduit, c'est le cerveau. Les chinois, tout comme dans leur relationnel, n'utilisent pas leur cerveau, et préfèrent privilégier leur ego. C'est à celui qui saura en montrer le plus, celui qui impressionnera, celui qui donnera une image emplie de pouvoir. Car en Chine, on est cool que dès lors qu'on a de l'assurance, et on a de l'assurance que dès lors qu'on a du pouvoir. La plupart des voitures sont des paquebots, car il faut pouvoir se déplacer au volant d'un véhicule qui impressionne par sa taille et son confort.
 
L'accident de Cai Li en est l'échantillon parfait. En théorie, les véhicules doivent laisser passer les piétons. En pratique, les cyclistes et les piétons sont plus petits, plus vulnérables, et dès lors, doivent accomoder le passage aux plus gros. La police, même si elle est présente, adopte les mêmes règles de priorité, qui lui paraissent normales, et ne tente pas de rappeler à l'order les délictueux.
 
Ce genre d'accidents arrive en France. La différence, c'est qu'en France, si vous traversez un passage piéton, les voitures vous laisseront passer. En Chine, vous avez intérêt à savoir courir, et vite. Si vous traversez benoitement, ce sont les conducteurs qui vous prendront pour un fou de ne pas réaliser le risque que vous encourez... Alors qu'ils sont bien plus puissants que vous (rien d'étonnant, donc, à ce qu'un étudiant chinois, dressé dans une stoïcité confucéenne sur un passage protégé, se fasse écraser par un char pékinois).
 
Dans le cas de Cai Li, le conducteur voulait passer à tous prix, même si, en cycliste prioritaire sur un passage piéton, elle était sur son chemin. Il a montré qu'il était éduqué, car en Chine, celà aussi est important. Il a appelé la police, qui s'est déplacée pour faire un constat, et a emmené Cai Li à l'hopital, réglant les soins médicaux de la petite. Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que, du fait d'un vide juridique total, la police est aussi tribunal de la situation, intimant, en Salomon du trafic routier, qui a tort et qui a raison. Quand Cai Li et le chauffard ont expliqué la situation aux représentants de la maréchaussée, ceux-ci ont déterminé que le chauffard était en tort, qu'il devait emmener la petite à l'hopital, payer ses frais médicaux, et compenser, sur la base de son salaire, les dix jours déterminés par le médecin durant lesquels elle ne pourrait ni marcher ni travailler.
 
Tout ceci est aussi banal qu'un bol de riz. Un vieux policier a expliqué à Cai Li que des accidents de la route, uniquement dans le maigre district de la ville qu'il gère, il en survient une dizaine par jour, avec de pics atteignant parfois cent par semaine. Cai Li, l'écoutant, restera estomaquée par la file d'intervenants venue faire une déclaration d'accidents de la route. L'histoire, pour elle, s'est arrêtée là. Elle n'a pas souhaité que je l'accompagne au poste de police, par peur de l'inconscient collectif chinois voulant que les étrangers soient richissimes. Par conséquent, le chauffard aurait pu la pousser à prétendre à moins, du fait de mon hypothétique situation financière de nabab.
4 - Un code de la route peu décodé.
 
Au-delà de cette conduite insurrectionnelle, force est de reconnaître que les conducteurs chinois ne sont pas éduqués correctement. Tout d'abord, tout le monde dispose d'une bicyclette ou d'un vélo électrique. Les vélos électriques roulent jusqu'à trente cinq kilomètres à l'heure en ville, et ne nécessitent aucun permis. Les cyclistes restent bien plus nombreux que les voitures (on doit au moins être à un ratio d'une voiture pour cent cyclos), et même si les infrastructures routières comptent des allées cyclistes larges, interdites aux voitures, la cohabitation avec celles-ci reste difficile.
 
Les vélos arrivent parfois au milieu de la chaussée réservée aux voitures, à contresens, et tentent simplement de se frayer un passage, sans qu'ils ne réalisent qu'ils risquent leur vie. On traverse n'importe où, sans regarder, parfois rapidement, et moi-même, lorsque je conduis et que j'arrive à la perpendiculaire d'une allée où piétons et cyclistes passent, je klaxonne systématiquement pour annoncer mon arrivée... Au risque, sinon, de voir un chinois déboucher au dernier moment d'un endroit d'où je n'aurais pu le voir surgir, ne regardant pas s'il peut traverser sans danger.
 
Cai Li n'échappe pas à la règle. Suzhou est une ville magnifiquement illuminée de nuit. Mais, les premières fois où, malgré les lampadaires et les néons, j'allumais le phare de notre vélo électrique au crépuscule, elle me demandait pourquoi, m'expliquant qu'il y avait bien assez de lumière pour qu'on puisse voir la route. Depuis, je n'ai toujours pas réussi à lui faire comprendre que les phares ne servent pas uniquement à voir, mais aussi à être vu. Systématiquement, j'ai droit aux épaules haussées dans un soupire, passant pour le peureux qui en fait trop.
 
La conscience du danger n'existe presque pas. Alors que les rues des villes chinoises sont larges, avec un trottoir pour les piétons, une allée aménagée pour les cyclistes, et au moins deux voies pour les voitures, les piétons continuent à marcher sur la voie des vélos. Très souvent, je suis obligé de tirer Cai Li par le bras, alors qu'un cycliste machinal se rue sur elle sans regarder. Systématiquement, il faut lui rappeler que la voie des vélos comme la route sont dévolues aux véhicules, et que nous serions bien plus en sécurité en marchant sur le large trottoir que le gouvernement communiste a généreusement construit à notre attention.
 
Quand j'ai demandé à mon ami Sun Ming Shan, après qu'il ait obtenu son permis, comment fonctionnaient les règles de priorité en Chine, tant celles-ci me paraissaient nébuleuses, il me répondra "tant qu'on va tout droit, on a la priorité". Tout aussi dubitatif, je lui ai demandé quelle était la règle à l'approche d'un carrefour ? Si je vais tout droit, j'ai la priorité, mais si une autre voiture arrive à gauche ou a droite, souhaitant aussi aller tout droit, nous avons par voie de conséquence tous les deux la priorité. Dans ce cas précis, qui est légalement censé laisser passer l'autre ? Et Sun Ming Shan, avec cette assurance imperturbable des chinois sans expérience mais qui veulent montrer qu'ils savent tout, concluera : "ça dépend !". En résumé, à l'approche d'un carrefour, c'est la loi du Talion. Celui qui klaxonne le plus fort, qui va le plus vite, qui fait rugir son moteur à l'explosion, et qui a le plus gros véhicule, gagne en général la priorité, jusqu'au prochain carrefour, où le défi recommence avec d'autres conducteurs.
 
Il faut bien resituer tout celà dans son contexte. Comparativement, en France, les rues sont très calmes. Il y a peu de voitures, et pour ainsi dire pas de cyclistes et peu de piétons. En Chine, c'est le déversement constant de véhicules de toutes sortes et d'individus, comme un torrent dont le courant ne cesse jamais, ne se jetant dans des directions dédiées que par les impératifs géographiques.
 
5 - Le permis de conduire, un jeu de faveur.
 
Comme dans de nombreux domaines en Chine, où corruption et petites escroqueries sont tellement présentes qu'elles en deviennent transparentes, le passage du permis de conduire n'est parfois assujetti à aucune connaissance théorique, ni même pratique.
 
Il y a quelques mois, Cai Li et moi-même devisions les informations sur une des chaines municipales, où les reporters dénonçaient une fraude fantastique s'étant déroulé en banlieue de Suzhou. Une soit-disant école de conduite proposait d'obtenir un permis en une heure et demie, sans même avoir à toucher un volant. Outre le fait que les candidats n'avaient pas à cumuler de fastidieuses heures de leçons de conduite, ou devant un écran à cocher les cases du code, le coût, même si il n'était pas neutre, s'avérait bien mois dispendieux que celui d'une obtention dans les règles établies.
 
Les margoulins ayant osé cette supercherie d'un applomb extraordinaire, disposaient de connexions avec les fonctionnaires dédiés à la gestion des permis, ceux-ci les accordant les yeux fermés, mais les poches pleines. On interviewait ainsi un pauvre bougre ocre cinquantain, pleurant devant la caméra d'avoir son permis à la main, sans même savoir comment démarrer une voiture. Il avait payé pour obtenir le morceau de papier, mais personne ne lui avait appris à conduire. Cet exemple n'est peut-être pas banal, mais il est loin d'être unique. Il faut mettre à la décharge des chinois que, par manque d'éducation flagrante, et par habitude de digérer directement la propagande sans même s'interroger sur son contenu, ils sont d'une crédulité de bas âge.
 
Moi-même, quand j'ai souhaité passer mon permis en Chine, je n'ai pas eu à m'acquitter des tests. J'avais toutefois pour preuve mon permis de conduire international.
 
C'était en mai, l'an dernier. J'ai retrouvé Zhu, une accointance d'affaires avec qui j'avais pris rendez-vous pour que celui-ci, du fait de son relationnel, selon ses propres termes, puisse "transformer mon permis international en permis de conduire chinois".
 
Zhu m'a présenté à un inconnu, archétype du cutéreux monté à la ville, dont l'apparence laissait penser qu'il devait avoir moins de vingt-cinq ans, mais dont le physique déjà éprouvé dénotait de l'origine agricole. Sympathique et souriant, ce garçon était incapable de communiquer autrement qu'en chinois et suzhouhua, le dialecte de Suzhou. Une liasse pampléthaire de documents sous le bras, il m'invitera à le suivre.
 
Zhu restera à son bureau. Le jeune homme, moi-même, et un autre gaillard plus âgé partirons visiter le bureau dédié. Nous arrivons dans cette administration chaotique qu'est le centre de passage du permis de conduire. A l'accueil, comme partout, c'est le pugilat. Nous passerons cette étape, sans patienter, et irons directement dans le bureau adéquat.
 
En Chine, avoir de l'argent n'est pas important. L'essentiel, c'est d'avoir des connexions. L'entraide est total, même si il est à peine légal. C'est plus ou moins toléré, car une partie de l'économie repose sur ce principe... Qui permet de nourrir des individus. Nous n'avons pas eu à attendre notre tour, car le chinois nous accompagnant officiait en passe-droit. Le jeunot n'était là que pour tenir les documents, et les remplir.
 
Dans la première pièce fourmillait la même foule. De chaque côté du mur étaient acollés des bureaux, méthodiquement, dans une discipline stalinienne. Chacun d'entre eux constituait une étape pour passer les formalités. Là aussi, il y avait de l'attente, les prétendants à la détention du permis de conduire jouant des coudes. Sans nous soucier de ceux-ci, nous sommes allés directement à la guérite du responsable. Le chinois qui nous accompagnait est allé lui taper dans le dos, a plaisanté avec lui comme si ils avaient fais le régiment et lui a offert une cigarette. Nous sommes repartis un mégot plus tard, avec des documents en main.
 
Suite à cette étape de copinage administratif, je n'ai pas eu à faire les tests auditifs, ni même de vue. Notre accompagnateur est passé au bureau des médecins en charge, leur a pris le tampon des mains sans que ceux-ci ne sourcillent, et a dûment estampillé ma demande de permis de conduire. Puis, alors que tout le monde faisait la queue aux guichets, il a fait le tour, passant derrière, et s'est servi de tous les cachets, formulaires et autorisations, sous les yeux des assujetis qui faisaient le pied de grue. Etonnant à voir, et parfaitement à l'image de ce principe corruptif, et qu'ici, on nomme "amitié".
 
Par contre, je n'ai pas pu me soustraire aux tests du code de la route, même si je n'ai eu qu'à sauver les apparences. Au dernier étage de ce batiment se trouve la salle de test. Il y a en fait une salle d'attente de hall d'aéroport, où l'on reste assis, en attendant d'être appelé pour passer les tests dans l'autre pièce. Dans cette autre pièce sont alignés des ordinateurs uniquement équipés d'un pavé numérique. Chaque candidat, une fois appellé, s'assoit derrière un pupitre high-tech, et dispose de trois quarts d'heure pour répondre à quatre vingt dix neuf questions.
 
Grâce à "l'amitié" chinoise, je suis rentré sans passer par la salle d'attente, et un ordinateur a été libéré pour moi sur le champ. Je me suis assis, ai regardé les questions, entièrement en mandarin. Le préposé viendra à mes côtés, me chuchotant d'attendre un peu, pour d'évidentes raisons de discrétion. Je suis resté assis là, pendant un quart d'heure, derrière cet écran dont les polices m'étaient hiéroglyphiques.
 
Autour de moi, on s'activait pour répondre aux questions. Certains candidats disposaient du code de la route sur les genoux, et y farfouillaient allègrement pour dénicher les réponses. Il s'agissait là aussi de gens ayant des connexions, pouvant ainsi rentrer avec toutes les anti-sèches souhaitées.
 
Un quart d'heure plus tard, le même fonctionnaire se profile à deux pupitres de moi. Il vérifie les documents du prétendant au clavier, pour s'assurer qu'il ne trichait pas... Feignant de ne pas remarquer ceux qui disposaient franchement de leur bouquin. Il passe au pupitre adjacent, prend discrètement le clavier des mains d'une chinoise qui avait des difficultés, et répond à toutes les questions restantes à sa place. Comme il s'agissait du pupitre contigu, celà permettait d'acheter le silence de la candidate, et éviter une plainte quelconque de sa part, au risque que le fonctionnaire corrompu en question ne perde sa place.
 
Dès que la demoiselle aura eu tout bon, il prendra mon clavier, jettera quelques coups d'oeil vifs d'inquiétude autour de lui et, en dix minutes, résoudra mes quatre vingt dix neuf questions. Au solde de celà, il me fera signe de rester assis encore un peu, et s'éloignera sans même me regarder. Après deux minutes, le jeune chinois me fera signe de le rejoindre.
 
Nous ressortons, et, dans la salle d'attente, il y avait toujours les mêmes candidats qu'à mon arrivée, une demie heure plus tôt. En redescendant, nous ne ferons pas la queue au guichet. Nous passerons directement derrière, et cinq minutes plus tard, j'aurais mon permis de conduire, avec la surprise de voir que mon nom chinois n'est pas le bon. En fait, "Ke Lin" ne se rapprochait pas du tout de mon nom de famille "Pavillon", et le préposé à préféré m'appeller "Bo Luo". Je ne vois toujours pas la proximité avec "Pavillon", mais ça n'est pas grave.
 
Dans la voiture, j'ai payé quatre cent yuans pour une heure et demie de prestation. Mon permis chinois est valable six ans.
 
Avoir son permis de conduire, même si celà tend à se banaliser, reste assez récent. Quand j'annonce que j'ai le mien depuis bientôt seize ans, les locaux ont souvent du mal à me croire. En Chine, il n'y a que ceux qui ont un peu de moyens, et donc un certain statut, qui se le permettent. Lu Zhong, un ami entrepreneur, qui est propriétaire d'une usine ne comptant pas moins de cinq cent ouvriers, n'a son permis que depuis quatre ans... Alors qu'il aura bientôt trente cinq ans. Mon partenaire, Wang Ke Rong, l'a passé cette année, alors qu'il a déjà vingt neuf ans. Tout ceci est très commun. Posséder une voiture est un rêve pour les chinois, chimère rendue réalisable par l'expansion économique. En conséquence, l'accroissement du parc automobile annuel est le plus élevé au monde. Et le gouvernement réussit assez bien à développer les infrastructures nécessaires à un tel déferlement de nouvelles plaques d'immatriculation. Mais il n'en reste pas moins vrai que la jeunesse de la plupart des conducteurs est totale. Malgré tout, j'ai le sentiment (mais peut-être uniquement forgée par l'habitude) que la situation s'améliore. Les jeunes qui obtiennent leur permis de conduire sont plus éduqués que les conducteurs l'ayant obtenu il y a dix ans, et la sécurité tend à devenir un paramètre.
 
 
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22 août 2006 2 22 /08 /août /2006 17:38
Les voyages, on les prévoit, on les rêve, puis on les vit... Et on continue à les cultiver au retour, par le biais d'impressions laissées, qui elles-mêmes évoluent avec le temps, la mémoire s'amalgamant avec l'imaginaire, pour tronquer les souvenirs et les transformer de faits réels en sensations.
 
En général, quand on se retrouve dans un pays aussi différent qu'a pu l'être la France pour Cai Li, on vit sur l'instant des situations tellement incensées, on évolue dans des atmosphères tellement extra-terrestres, qu'on en garde, au retour et à terme, une empreinte bouleversée qui se rapproche plus de la chimère que de la réalité. C'est d'autant plus vrai dans le cas de Cai Li, puisqu'il s'agissait pour elle, durant trois semaines cet été, d'une immersion complète : c'était son premier déplacement hors de Chine, et elle n'avait jamais pris l'avion. Par ailleurs, elle n'est pas partie en voyage organisé avec des chinois, mais s'est retrouvée aux côtés de son petit ami français, qui officiait en tant que guide touristique et culturel, intégrée dans la famille et l'entourage amical de celui-ci. Bref, le grand bain, et dans tous les cas, la seule véritable façon de voyager.
 
Au retour, le voyage, dans tout ce qu'il apporte en découverte de soi et de l'univers, se poursuit, avec plus d'interrogations sur le monde qui nous entoure, et fatalement plus de compréhension de soi-même. Maintenant qu'elle est rentrée, c'est un autre voyage qui commence, celui qui va la transformer, car elle s'est ouvert un potentiel de références incroyablement plus large en tentant de s'approprier, pour les trois semaines qu'ont duré les vacances, cette autre planéte qu'est la France.
 
Et déjà, je la trouve métamorphosée. Cai Li ne parle plus que de ça, avec des questions, des conjectures, des tentatives d'explication, aussi bien concernant la situation politique, économique, et historique, que les comportements sociaux de ce peuple étrange qu'est l'ethnie française. Elle s'est ouvert l'esprit, y a perdu en spontaneité, mais y gagne en sagesse. Je suis même particulièrement impressionné de la voir autant bouleversée. Peut-être que celà est du aussi au fait qu'elle vive avec un français depuis un an, et que le voyage dans le placenta culturel de celui-ci a permis de mieux comprendre sa vie de couple, qu'elle-même admet volontiers étonnante et peu banale, comparativement à celle que vivent ses amies avec leur petit copain chinois.
 
Au-delà de cette réflexion, il y a quelques éléments qui ont particulièrement marqué Cai Li lors de notre déplacement en France, et dont je n'imaginais pas qu'elle en serait si bouleversée... Mais là aussi, c'est un échange, et sa découverte de la France m'a permis d'en comprendre un peu plus sur elle et sur la Chine, ainsi que le comportement des chinois. Je vous glisse les principaux éléments qui l'ont marqué :
 
1- L'approche gastronomique :
 
Les français se croient les champions internationaux toutes catégories de la bonne bouffe. C'est ce dont j'étais moi-même convaincu au préalable de mes premiers vagabondages en Extrême Orient. Mais les chinois n'ont rien à nous envier, à tel point que c'est carrément l'inverse : nous n'accédons même pas au podium de la jouissance gastronomique que eux décrochent systématiquement la médaille d'or. Même dans l'urgence professionnelle la plus ultime, vous ne ferez pas sauter un repas à un chinois. Il a tout autant besoin de son petit-déjeuner, que de son déjeuner, que de son dîner. Supprimez-lui l'un des trois, et vous l'entendrez hurler à la mort de la souffrance occasionnée par ses gargouillis stomachaux, vous faisant comprendre qu'il ne peut travailler efficacement, quelles que soient les nécessités, si il n'a pas l'énergie alimentaire d'un ventre plein.
 
Et en dehors des repas, les chinois continuent à manger. Quand nous sommes tranquillement dans notre appartement, et même si nous venons de savourer un repas copieux, Cai Li n'hésitera pas à grignoter ce qu'on appelle ici des "xiao chi" (la traduction littérale en français serait "petit manger"), à savoir des cacahuètes, des graines de tournesol, ou d'autres petites douceurs salées. La voyant ainsi avaler ses xiao chi avec la vélocité d'une machine agricole, dès que je lui demande si elle a encore faim (alors que j'ai du personnellement faire sauter la ceinture de mon pantalon), elle me répondra invariablement qu'elle est repue, mais qu'il n'y a pas besoin d'avoir de l'appêtit pour avaler des xiao chi, que ça a bon goût, et que ça l'occupe. En Chine, outre les théories constantes et parfois ahurissantes que l'on entend sur l'intérêt médical de tel ou tel aliment, le goût est un plaisir, au même titre que l'ouïe, ou la vue. Ainsi, pour Cai Li, dévorer ses xiao chi, c'est comme d'écouter la musique qu'elle aime.
 
Comme dans de nombreux pays, les chinois considèrent que leur cuisine est la meilleure. Même si je trouve ce patriotisme de casseroles un peu expéditif, je reconnais que la gastronomie chinoise se glisse dans le peloton de tête des bonnes bouffes internationales, tant pour sa variété que pour ses saveurs, aux côtés de la cuisine italienne, française, ou japonaise. Si il fallait une preuve, il suffirait d'évoquer la facilité épidémique avec laquelle celle-ci s'est exportée : dans n'importe quel pays à travers le monde, il y a des restaurants chinois (tenter par contre de trouver un restaurant anglais, sans vouloir cracher dans la soupe, à la menthe, des bruleurs de sainte et monarchistes insulaires, est impossible... Et pour cause : leur gastronomie a la saveur de leurs femmes). Malgré tout, ne faites pas l'amalgame : la nourriture chinoise en Occident n'a rien à voir avec la nourriture chinoise authentique. Nous sommes allés, en France, dans un restaurant chinois, et les plats étaient tellement peu chinois, que Cai Li a préféré, pour le reste du séjour, s'accomoder de la gastronomie française plutôt que de la mauvaise bouffe chinoise. 
 
Par contre, dans ses réactions vis-à-vis de la nourriture française, Cai Li a su conserver ce patriotisme qui, je dois l'admettre, m'irrite parfois. Elle n'a pas pu s'empêcher, devant un repas français, de renifler chacun des plats, et de demander, dans une moue emplie de la suspicion la plus avérée, qu'on en identifie les ingrédients pour elle. C'est pourtant tellement simple de goûter pour savoir si on aime, et c'est aussi gage de découverte volontaire. Personnellement, si en Chine, j'avais eu la démarche de ne manger que ce que j'arrivais à identifier, j'aurais ignoré plein de bonnes choses, et j'aurais dépéri (de ce côté, je me porte d'ailleurs plutôt trop bien).
 
Chaque nouveau repas constituait une nouvelle angoisse potentielle, tant pour elle de ne pas manger, que pour moi de me savoir savourer égoïstement, alors qu'elle resterait sur sa faim. Il a donc fallu trouver des subterfuges, et prévoir des mets supplétifs, sur lesquels elle pouvait fondre, si le contenu du repas initial ne lui convenait pas. Son quotidien gastronomique français s'est essentiellement articulé sur des tranches de pain et de saucisson, car ça, elle aime. Comme n'importe quel autre chinois, lui faire goûter de la viande rouge était impossible. Or, du boeuf, en France, on en mange. Pour un chinois, manger de la viande rouge revient à se goinfrer de charogne. Imaginez-vous avec un morceau de cadavre fraîchement découpé de la morgue, et vous aurez une idée de ce qu'un chinois peut ressentir. Le confit de canard ainsi que le foie gras passent plutôt agréablement, car on trouve en Chine des préparations aux saveurs proches. Le plus étonnant reste son attrait pour les escargots, pourtant met particulièrement gaulois, et dont la viscosité baveuse de l'ingrédient principal ne la pourtant pas fait renacler à l'avaler.
 
2 - La belle campagne :
 
J'ai eu la chance d'avoir beaucoup voyagé depuis quelques années, et sans aucun chauvinisme rural, je continue de penser que la campagne française est une des plus belles du monde. Je suis originaire d'une petite ville de Touraine, et la région que j'appelle "le triangle", à savoir la campagne au centre de la Touraine, du Chinonais, et du Poitou, regorge de plénitude champêtre. Mais déjà, dès notre sortie de l'aéroport de Roissy, alors que nous traversions la Beauce, Cai Li a été enchantée par ce plat pays qui est le mien. Les champs de céréales, à perte de vue, dans une serenité arrivant jusqu'à l'horizon, parsemée de bois tranquilles et épars, l'ont subjugué de manière instantanée et irréversible.
 
Il faut dire que la campagne en Chine, et particulièrement dans le Jiangsu, province dont elle est originaire, n'est pas très folichone. Nous vivons dans un des plus grands bassins industriels de la Chine, qui par voie de conséquence, est le grenier à usines du monde. Dès la sortie de Shanghai, pour rejoindre Suzhou, nous traversons ce que les locaux appellent la campagne, et qui n'est qu'un enchainement d'usines et de cités ouvrières, dont l'architecture colorée et d'inspiration soit-disant occidentale fait passer les batiments pour des copies quart-mondistes du Main Street de Disneyland : pathétique, carton-pâte, et hideux.
 
Et puis, au-delà des infrastructures industrielles, il y a un rafut constant de véhicules à peine identifiables, et une population de fourmillière. Les parents de Cai Li habitent Jiangyan, petit village du Sud du Jiangsu, dans un petit hameau qui borde un canal. Derrière leur maison, on peut se plonger dans un champ, mais qui, bien avant la ligne d'horizon, donne sur un autre hameau, et le petit sentier qui rejoint la route, du fait du trafic constant des véhicules de fortune, donne l'impression d'être autant fréquenté qu'un périphérique à l'heure de pointe, sans même évoquer la poussière constante et les détritus. Même de nuit, autour de la maison familiale, alors que les lumières sont éteintes pour éviter que les moustiques n'agacent, et qu'il n'y a pas la chaleur d'une ville aux alentours pour empêcher d'admirer la voute céleste, il subsiste une agression sociale constante, générée par les paysans qui passent dans la rue, bramant dans leur dialecte local. Bref, la Chine est un pays où la quiétude n'existe pas, même dans les zones rurales les plus reculées.
 
En France, le calme est total. La campagne embrase les sens de bien-être. Sa vue est déjà apaisante, et, outre le bruissement du vent dans les frondaisons des vergers et aux pistiles des champs de tournesol, il ne subsiste que cette quiétude sourde qu'on entend comme on écouterait le silence. Il y a aussi une beauté organisée, avec un souci constant du respect de l'environnement, respect qui n'est même pas à l'heure du concept en Chine. Car en Chine, dès lors qu'on est dehors, dans un joli coin de campagne ou non, celà donne le droit de disperser ses ordures. En France, pour celà, la population est aguerrie à une discipline écologique portée en étendard.
 
Trés étonnement d'ailleurs, alors que Cai Li, au préalable de son voyage, ne jurait que par la Chine, quand, en France, je lui suggérais que, lorsque nos moyens nous le permettront, nous pourrions peut-être envisager l'achat d'une petite maison perdue aux abords du Poitou, pour de vraies vacances, où les téléphones sans fil ne perçoivent pas une barre, et où l'internet est une vue de l'esprit, elle acquiescera avec bonheur. Cai Li, pour celà, s'est sentie immédiatement détendue dans la campagne française, et j'étais très heureux de la voir se l'approprier si spontanément.
 
3 - La technologie agricole :
 
Au-delà de la beauté du paysage, ce qui a surpris Cai Li, c'est de voir que nous utilisions des tracteurs pour les travaux agricoles. En Chine, fruit d'un paradoxe historique et économique, les paysans utilisent encore des outils médiévaux, tractés par des boeufs ou des chevaux, voire, dans certains coins particulièrement reculés, par des hommes. Et elle a ressenti, outre une fascination bien déconcertante pour Poclain (il fallait s'arrêter à chaque passage d'un tracteur pour qu'elle l'immortalise sur un cliché), une incompréhension totale quant au stade de développement que nous avions atteint en Europe. Mettez-vous à sa place : comment, dans l'esprit d'une chinoise, peut-on imaginer des paysans, avec un niveau d'éducation qui fait friser leur niveau de QI avec celui de leur température anale (croyez-moi, en Chine, les paysans, même si ils ont inventé le boulier, savent à peine compter), s'offrir un outil aussi inaccessible qu'un tracteur, qui créé des coûts rendant caduque toute compétitivité ? Alors il a fallu lui expliquer que la production n'était pas obligatoirement synonime de productivité, et qu'un agriculteur qui, en France, ne disposait pas de ce type d'outil standard, ne pourrait pas se permettre d'embaucher des gens pour des travaux aussi pénibles, tout en conservant le même gain, et la même rapidité d'exécution. Par ailleurs, en France, où trouver la main-d'oeuvre pour des travaux aussi durs ?
 
4 - Paris :
 
A priori de son voyage, la France et Paris, c'était la même chose... Comme chez la plupart de chinois. Et il m'arrive encore très souvent, en Chine, de générer l'incompréhension suspicieuse des locaux, quand je leur explique que je suis français, mais pas parisien.
 
Personnellement, j'ai horreur de Paris : y circuler est une corvée, que ce soit en voiture (où on se demande pourquoi les voitures sont équipées de plus de trois vitesses, à part pour déboiter au dernier moment), ou bien par le biais des transports en commun (où au moindre sourire, on reçoit une angoisse blafarde en retour); la sécurité se rapproche de celle d'une mégalopole américaine (il suffit, pour celà, d'énumérer le nombre de policiers en uniformes carnassiers, arnachés de pistolets mitrailleurs, que l'on croise à chaque endroit un tant soit peu touristique); la mendicité sentirait la mine d'or pour un humble en pièces détachées de n'importe quelle ville du Bangladesh, et la ville est dégueulasse (outre les crottes de chien, sorte d'ornement typique des rues parisiennes, complètement rentrés dans le paysage citadin, comme les manèges à chevaux de bois, où les statues d'inspiration antique, les poubelles sont devenues tellement transparentes du fait du plan Vigipirate, que les locaux ne les utilisent plus, et les ordures jonchent le pavé).
 
Pour celà, il faut dire que les villes chinoises, dès lors qu'elles atteignent une taille suffisante, sont à peu près impeccables. Même si les chinois ne sont pas très disciplinés pour la propreté, la trottoirs fourmillent d'employés qui passent leur journée à y lécher les saletés à coups de balais gigantesques. Là aussi, en France, il serait bien difficile de trouver une telle main-d'oeuvre à moindre coût.
 
Pour Cai Li, venir en France, c'était visiter Paris. Il lui fallait courir le tiercé dans l'ordre : Tour Eiffel, Musée du Louvres, et Notre-Dame de Paris. A ce sujet, Cai Li éprouvait une fascination pour Notre-Dame de Paris qui atteint celle d'un illuminé fan d'extra-terrestres en attente d'un premier contact. Depuis quelques mois, elle me parlait de la cathédrale, avec pléthore d'interrogations quant à la majesté gigantesque de l'intérieur, et à la réalisation d'une telle prouesse architecturale. Pour elle, c'était aussi fort que la pyramide de Khéops.
 
Au solde de tout celà, visiter Paris a essentiellement constitué une déception. Tout d'abord, certes le triangle lascéré par la Seine que constitue les vecteurs Place de l'étoile, Musée du Louvres, et Tour Eiffel, restent bien jolis à traverser, mais avec son échelle chinoise des valeurs, elle a trouvé celà tout petit ! Il faut relativiser : la Chine fait presque dix-huit fois la superficie de la France, compte plus de vingt pour cent de la population du globe, et rien que Shanghai, qui est la troisième ville du pays, recense presque vingt millions d'habitants. Bref, avec nos six millions de pékins, Suzhou est une ville plus étendue que Paris downtown, plus dense en population, et qui, à chaque extrêmité cardinale, a su conserver une architecture traditionnelle. Alors que Paris, au-delà du quartier précité, il ne reste plus grand chose de la candeur que l'inconscient collectif international hors hexagone a su conserver. En ce qui concerne Notre-Dame de Paris (Cai Li m'a impressionné, car elle connaissait très bien le roman de Victor Hugo, qui semble-t-il reste un classique dans beaucoup de pays), j'ai eu droit à la même sentence : c'est bien plus petit et bien moins impressionnant que ce qu'elle avait à l'esprit. Bref, au solde de notre rapide périple à Paris, elle était bien contente de retrouver la campagne.
 
Reste le Louvres, pour lequel je lui concède qu'il s'agit d'un des plus beaux musées du monde, et où l'atmosphère, même au coeur de la saison touristique, recèle quelque chose d'unique, baignée de savoir, d'art, d'Histoire, et aussi d'un certain mystère.
 
5 - Les cheminées :
 
Là aussi, Cai Li m'a surpris là où je ne l'attendais pas. Dès son arrivée, Cai Li s'est étonnée de voir, en cerises sur gateaux, des cheminées orner nos maisons et nos immeubles. Il a fallu lui expliquer que, même si nous avions des moyens plus modernes pour nous chauffer, la cheminée restait un plus dans le cadre d'un emménagement, pour la chaleur sereine et conviviale qu'elle apporte en hiver, avec les craquements rassurants des braises au fond de l'âtre. Cai Li l'a plus ou moins compris... Mais celà n'a pas freiné pour autant sa stupéfaction à voir ces cheminées s'ériger de manière presque systématique au sommet de nos tuiles.
 
Sa plus grande surprise a été lors de notre visite au Chateau de Chambord. Pour rappel, l'édifice ne manque pas de cheminées, et la plupart d'entre-elles restent tellement monumentales en volume qu'on pourrait y loger une famille de réfugiés. Et là, elle n'a pas pu s'empêcher de se faire prendre en photo dans la plupart des cheminées du chateau.
 
6 - Les enfants :
 
Comme la plupart des chinoises, Cai Li trouve que les petits enfants occidentaux sont bien beaux. Au-delà de cette constante, elle a toujours une facilité déconcertante à s'approprier un relationnel intense avec les mouflets... Et celà a été encore plus particluièrement le cas en France, où pourtant, la communication était un réel problème.
 
Dès lors que nous visitions certains de mes amis, ayant des enfants en bas âge, elle passait le plus clair de son temps avec les bébés plutôt qu'avec les adultes. Et très vite, cette fascination s'est avérée réciproque : les enfants ne s'intéressaient plus à qui que ce soit d'autre que Cai Li. En Chine, dès lors qu'on est accompagné d'un enfant occidental, c'est la même histoire : on ne peut pas faire un pas sans que les chinois ne viennent s'attrouper autour du petit mioche, à grands renforts de gouzigouzis, et n'hésitant pas, sans même avoir demandé quoi que ce soit à l'accompagnateur adulte, à le prendre dans les bras, en gloussant de trouver la petite merveille si craquante. Il arrive même souvent que les chinois arrêtent dans la rue les familles occidentales pour demander de se faire prendre en photo avec les enfants.
7 - Le français débonnaire :
 
Cai Li conserve une bonne image des français, de manière générale, même si elle a trouvé qu'ils se complaisaient un peu trop dans une démarche de communication limitée vis-à-vis d'elle, bien content d'être franchouillards, et partant du principe qu'il était accessoire d'essayer de faciliter la tâche à cette étrangère débarquant d'une autre planète. Il faut dire que, pour ce qui est du manque d'effort à communiquer dans un autre idiome que celui de Molière, les français sont d'une arrogance désastreuse. Je lui faisais la remarque, alors que nous nous trouvions à Roissy, enregistrant nos bagages pour notre vol retour vers Shanghai. Il y avait, dans la file d'attente, pléthore de nationalités de représentées, et une employée d'ADP n'a cessé de hurler "reste-t-il des passagers pour Canton ?"... En français. Il est bien évidemment lamentable que dans un aéroport international comme Roissy, les employés ne soient pas foutus de s'exprimer, même de façon basique, en anglais, sachant d'autant plus que l'audience est internationale. Comparativement, en Chine, dans tous les aéroports, gares routières et ferrovières, ou encore sur les routes, la plupart des indications essentielles sont inscrites en chinois et en anglais. Dans tous les restaurants de bonne taille, ou avec une certaine renommée, les menus sont aussi bilingues (même si les traductions sont, dans la plupart des cas, à mourir de rire : j'ai souvenir de ce restaurant proposant une "salade à l'eau" et des "sandwiches aux ordures"). Dès lors que l'on rentre dans un magasin, même si le vendeur a un niveau très basique, il fera l'effort de communiquer en anglais avec les étrangers. Et puis, de manière générale, les chinois sont exceptionnellement accueillants avec les étrangers, faisant leur maximum pour leur faciliter la vie.
 
Je connais des français empécheurs de communiquer en rond, qui, dans leur sacrosaint écrin hexagonal dont ils ne sont jamais sortis, me rétorquent que le chinois est une langue compliquée et difficilement accessible (alors qu'ils n'en connaissent même pas le fonctionnement en rêve). Par voie de conséquence, il leur parait tout à fait logique qu'en Chine, on fasse l'effort d'écrire en anglais, au même titre qu'ils ne voient pas l'intérêt d'avoir la même démarche en France. Et ceux-ci, dans leur petite étroitesse franchouillarde, gauchisante et pourtant coloniale, ont une perception de l'univers se limitant tellement à leur pays, pour ne pas dire à leur département, qu'ils n'ont pas réalisé que le chinois était la langue la plus parlée au monde, et que le français représente au moins autant de difficultés pour un chinois que l'inverse. Par ailleurs, pour ce qui est de son fonctionnement, le mandarin est une langue bien plus simple que n'importe quelle langue latine : il y a très peu de grammaire, et les conjugaisons sont inexistantes. Et à l'échelle du monde, si le chinois n'est qu'une langue tierce, alors le français n'est même pas un dialecte.
 
Au-delà de ces considérations linguistiques, je trouve plus qu'important de mettre à l'aise des étrangers de passage, même au prix d'un effort. L'arrogance française reste une valeur exportée : je me souviens d'un rapport publié par l'Ambassade de France à Hong Kong, il y a quelques années, qui décrivait les français à travers les yeux des hongkongais. Après l'art, la mode et les cosmétiques... On trouvait le comportement arrogant. Plus simplement, sans penser à critiquer quel que comportement que ce soit, je me sens rassuré de croiser des chinois qui souhaitent communiquer et me conseiller, et je trouve normal de renvoyer l'ascenceur à n'importe quel étranger qui se trouve un peu désabusé en France.
 
Pendant positif de ce comportement, Cai Li a pleinement intégré que les français vivaient dans un confort naturel, dont ils disposent pour ainsi dire dès la naissance, sans avoir véritablement à se battre au quotidien, sereins qu'ils sont de jouir de tout un arsenal de prestations sociales qui, dans la plupart des cas, ne pourra pas les condamner à mourir de faim. Car en Chine, c'est la foire d'empoigne pour le travail, l'argent, les petits business, et la réussite assurant une sécurité totale. On s'arrache l'argent en le prenant où on peut. La raison fondamentale de celà n'est pas l'explosion économique, même si c'est un paramètre d'importance. La cause essentielle reste une précarité sociale et un vide juridique totale, qui induit que bon nombres d'individus se lèvent le matin en ne pensant qu'à une chose : travailler suffisament dur pour pouvoir se nourrir le soir. En France, on est dorénavant très loin de ces besoins liés à la survie... Et Cai Li a fortement apprécié l'atmosphère constamment emprunte de relaxation, de détente, et de temps, hors-professionnel, dévolu à la quiétude, et aux petits plaisirs.
 
Où que je sois à travers le monde, je resterais français... Et j'ai parfois un peu de mal à le faire comprendre à Wang Ke Rong, mon associé. Il a monté son usine, et nous disposons d'une société de représentation en commun. Lui ne comprend pas que je ne passe pas sept jours sur sept à l'usine, que je n'y vive pas, et que je n'y dorme pas après quinze heures de travail. Moi, je reste convaincu que la vie est courte, qu'elle est belle, et qu'il y a un temps pour tout. S'accomplir professionnellement est essentiel, mais il n'y a pas pour autant que le travail pour nous définir. Je suis né dans un pays où l'environnement social et économique permet d'avoir cette démarche, très répandue en France. Cette quiétude débonnaire, cette capacité immédiate à ne pas amalgamer l'existence et le travail, Cai Li l'a très bien ressentie... Et il est évident qu'une telle démarche, qui laisse une part importante aux bonheurs simples, et à l'accomplissement d'autre chose qu'un pedigree professionnel, l'a immédiatement interpellé, à tel point qu'elle s'en inspire dorénavant pour calquer sa vie. Il faut dire que, pour n'importe qui à travers le monde qui en a les moyens, c'est attirant !
 
Elle s'était rendue compte de celà dès lors que nous avons commencé à vivre ensemble, se demandant comment je pouvais cumuler la lecture de romans, l'écriture, la vidéo amateur... Et le démarrage d'une entreprise. Et au tout début, lui faire comprendre qu'il y avait un temps pour tout, que mon bonheur résidait dans un équilibre de tout celà ; que le temps, avec un peu d'organisation, était toujours un peu extensible, et que, même en travaillant vingt quatre heures sur vingt quatre, dès lors qu'on est entrepreneur, on trouverait toujours quelque chose à faire, n'avait pas été aisé. Ici, dès lors qu'on se retrouve entre amis, le sujet de prédilection reste le travail... Et la capacité à s'enrichir. Les chinois ont tellement soufferts qu'ils ont dorénavant la grosse tête des parvenus. Ce qui est par contre un peu éreintant, c'est qu'il est difficile de s'entretenir avec qui que ce soit d'autre chose. Parler d'art amène les gens à s'interroger... Et surtout, ils ne comprennent l'intérêt de l'art qu'à partir du moment où celà leur permet de revendiquer une apparence sociale.
 
Nous sommes rentrés il y a maintenant une quinzaine de jours, et dèjà, Cai Li n'est plus tout à fait celle qu'elle était au préalable de ce voyage.
 
Je l'avais constaté lors de mes propres vagabondages : les voyages permettent d'évoluer.
 
 
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